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mourut en mer, tandis qu’il se rendait de Cronstadt à Copenhague avec l’espoir d’y trouver le repos, l’apaisement et l’amélioration de sa santé détruite.

L’existence que nous venons de résumer à la lumière des documens réunis par le grand-duc Nicolas et des commentaires qui les accompagnent suffirait à expliquer l’attachant intérêt que nous présente son livre. Mais cet intérêt déjà si puissant a encore une autre cause : c’est ce qu’il nous révèle du caractère de l’empereur Alexandre et qui vient compléter si heureusement ce que le grand-duc nous en avait déjà laissé voir dans l’introduction générale aux rapports des ambassadeurs du Tsar et de Napoléon. La mobilité de ce caractère, la haute opinion qu’Alexandre avait de lui-même, la spontanéité de ses résolutions, la rapidité avec laquelle il les oubliait et, enfin, l’esprit de ruse qui était au fond de cette nature ondoyante, nous apparaissent ici dans le cadre d’événemens mémorables où ses qualités et ses défauts trouvèrent pour s’exercer le terrain le plus propice. Longtemps et avant que les beaux travaux de MM. Albert Sorel et Albert Vandal eussent éclairé les obscurités de cette époque, on a pu croire que dans les rapports d’Alexandre et de Napoléon, c’est celui-ci qui avait été le trompeur et l’autre le trompé. Cette thèse dont ces éminens historiens avaient déjà démontré la fragilité ne peut plus se soutenir quand on a lu les pages que consacre le grand-duc Nicolas à la rivalité des deux Empereurs. Sa sincérité, dont le rang qu’il occupe dans la famille impériale de Russie double le prix, ne constitue pas le moindre mérite de son œuvre. Par le rapprochement qu’il fait de certains rapports de Caulaincourt avec les propos tenus par Alexandre, il nous démontre que, si l’enthousiasme qu’inspirait Napoléon au souverain moscovite fut d’abord aussi sincère que spontané, il dégénéra bien vite en une véritable défiance qu’il parvint à dissimuler en la couvrant d’un langage qui ne pouvait guère la laisser deviner. « Il fallait bien de l’empire sur soi-même, écrit le grand-duc Nicolas, pour aller à Erfurth affirmer aux yeux du monde entier l’alliance avec Napoléon, en ayant par devers soi des intentions radicalement contraires. »

Il serait aisé d’établir que ces intentions suivirent de près l’entrevue de Tilsitt. On les aperçoit à travers « les tergiversations excessives et le caractère évasif des conversations d’Alexandre avec l’ambassadeur de France. » Elles furent