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déterminées sans doute, moins encore par la lenteur, que mettait Napoléon à réaliser les beaux rêves qu’à Tilsitt il avait faire luire aux yeux de son allié que par l’influence de Metternich. L’homme d’État autrichien suivait de près à Paris les rapports franco-russes et employait sa plume experte à entretenir dans Alexandre des sentimens de défiance à l’égard de Napoléon, lesquels furent si bien cachés que, même dans l’entourage du Tsar, on ne les devina pas toujours.

Ces révélations ne sont pas entièrement nouvelles, mais on ne saurait nier qu’elles tirent une autorité particulière de la confirmation que leur apporte le grand-duc Nicolas. Il semble bien que se soit faite maintenant sur la grande crise que traversa l’Europe, durant les premières années du XIXe siècle, toute la lumière que l’on pouvait souhaiter. Du reste, le grand-duc ne s’en tiendra pas aux publications que nous lui devons déjà, et la suite du recueil dans lequel il réunit les rapports des ambassadeurs impériaux nous apportera sans doute des confirmations nouvelles, peut-être même des surprises. En tout cas, on lui doit, dès maintenant, la justice de reconnaître que ses travaux révélateurs de son indépendance et de son souci de vérité auront rendu à l’histoire un service inappréciable. Cette justice, M. Frédéric Masson, dans l’avant-propos dont nous parlions plus haut, la lui a déjà rendue en lui exprimant la reconnaissance des lecteurs qui, à une culture générale, joignant une intelligence avertie, prennent leur plaisir à recevoir directement des contemporains l’impression et le récit des événemens et mettent les correspondances qui la reflètent sur l’heure au-dessus des mémoires qui l’arrangent. « L’historien dit-il, ne peut prétendre à convaincre s’il ne présente ces deux garanties : l’indépendance de l’esprit et la liberté de la plume. » Ces garanties, le grand-duc Nicolas nous les donne, et on ne saurait faire un plus complet éloge des publications qui sont sous nos yeux.


ERNEST DAUDET.