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on dit : Cosas de España ! L’Amérique du Sud est un pays à part où il est impossible de mesurer les événemens et les hommes avec la même aune que les choses d’Europe. Tartarin réserve son indignation pour le « menteur du Nord ; » il n’en a pas pour le Méridional ; le Français lui aussi, en lisant dans son journal la dernière incartade d’une république sud-américaine, a un sourire d’indulgent scepticisme ; il sait à quoi s’en tenir ; la nouvelle lui produit une impression de déjà vu et ne lui cause plus aucune émotion. Comment ne renoncerait-il pas à trouver un fil conducteur dans ce dédale de révolutions, d’insurrections et de coups d’État : tel président qui, la veille, paraissait assuré de son pouvoir, fuit le lendemain devant l’émeute ; telle république qui, la veille, se proclamait une et indivisible, se trouve le lendemain séparée en deux tronçons qui forment chacun un État nouveau. Il faut bien l’avouer, malgré des liens traditionnels de sympathie et d’intérêts entre ses populations et la nôtre, l’Amérique du Sud, le Venezuela en particulier, n’ont pas le don de nous passionner ; nous préférons ne pas en entendre parler, comme si nous savions mauvais gré à toutes ces jeunes républiques d’être restées si turbulentes, et de donner un fâcheux exemple à celles d’Europe, ou comme si nous craignions de constater, en cherchant sur nos cartes où gît le Venezuela, que ses ports sont des escales sur la route de Panama.

Il nous a donc paru qu’il ne serait pas sans utilité d’exposer, aussi clairement que possible, les élémens du différend franco-vénézuélien. Disons tout de suite que cette histoire est difficile à suivre, plus difficile à écrire ; si l’on veut en rechercher toutes les racines, en sonder tous les doubles fonds, on a parfois l’intuition de passer à côté d’inquiétantes énigmes. En présence de certaines obscurités de la pièce qui se joue devant le public, on soupçonne parfois que l’action principale pourrait bien se passer dans la coulisse et, si une clarté fugitive vient à illuminer un instant le fond du théâtre, on croit distinguer, derrière le mirage des premiers plans, la réalité mystérieuse d’une invisible armature. Peut-être après tout n’est-ce là qu’illusions ; c’en est assez cependant pour troubler l’esprit de celui qui cherche à tirer au clair et à expliquer cet imbroglio sud-américain : il se demande parfois avec inquiétude si, dans cette affaire, ce qui se devine ne serait pas d’aventure plus intéressant et plus vrai que ce qui se dit.