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Il devenait, cette fois, impossible de louvoyer : il n’y avait plus d’autre issue que la rupture. Le gouvernement, malgré les efforts des intermédiaires qui n’avaient pas perdu tout espoir de faire réussir leurs combinaisons financières, se décida à rappeler M. Taigny et en informa le département d’État de Washington en lui renouvelant la demande de prendre sous sa protection nos nationaux et nos intérêts. M. Russel reçut aussitôt des instructions en ce sens et, dès le 10 janvier, il notifiait au gouvernement vénézuélien la rupture des relations diplomatiques avec la France. Dès lors les événemens se précipitèrent. Le président Castro avait espéré jusqu’au dernier moment que le gouvernement français reculerait, désavouerait son agent, trouverait un moyen pour continuer les pourparlers et reprendre les affaires ; mais en jugeant ainsi du gouvernement de la France par le sien, Castro se préparait d’amers désappointemens ; quand il apprît la rupture, il entra en fureur et ne pensa plus qu’à sa vengeance : le 11, il fit fermer le bureau de la Compagnie à la Guayra et saisir le câble, si bien que le télégramme qui annonçait à notre représentant qu’un croiseur était en route pour venir le chercher, ne put lui parvenir. Sans nouvelles, M. Taigny se rendit à la Guayra pour prendre les dépêches que le paquebot transatlantique Martinique ne pouvait manquer de lui apporter. C’est alors que se passa l’incident que tous les journaux ont raconté, mais qui n’a pas encore été rapporté, croyons-nous, dans toute son exactitude et toute sa gravité.

Vers 9 heures du matin, le 14, M. Taigny monte à bord sans obstacle et sans qu’aucun papier lui soit demandé ; il descend dans le salon où le capitaine le rejoint aussitôt ; c’est à ce moment seulement qu’un employé de la douane vient lui réclamer l’autorisation qui, en vertu des règlemens du port dont on n’avait jamais songé à faire application aux diplomates, devait lui permettre de monter à bord. M. Taigny répond qu’il use de son droit de monter à bord d’un bâtiment français et excipe de ses immunités diplomatiques ; l’employé redescend et aussitôt, sur la jetée, dans la rade, tout autour de la Martinique et jusque sur le pont du navire, se répand une nuée de policiers et de douaniers armés qui exercent autour du bateau la plus étroite surveillance. Après avoir déjeuné avec le capitaine, M. Taigny s’approche de la coupée et se dispose à descendre à terre quand un employé de la douane lui signifie d’avoir à ne plus remettre