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travail ne se fit plus gaîment : il était interrompu par de continuels éclats de rire. Enfin, la besogne faite en une heure de temps, nous appelons notre hôte, nous lisons et nous expliquons notre code, et notre bourgeois, tout enchanté de devenir un personnage, nous conjure de lui remettre ce papier, en nous assurant qu’il en tirerait bon parti. Nous aurions bien voulu nous arrêter un jour pour assister à cette assemblée et voir ces prémices de démocratie, mais nous étions pressés. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’arrivant à Paris, nous vîmes bientôt dans les papiers publics que l’assemblée de Montreuil avait fini son élection la première, et qu’on donnait de grands éloges à l’ordre qu’elle avait su établir.

Ce petit fait n’est pas si insignifiant qu’il paraît d’abord : il montre bien l’insouciance ou l’ignorance de l’administration qui, en ordonnant une chose aussi insolite qu’une élection populaire, n’avait pas pensé à accompagner la loi d’un mode réglementaire qui prévînt la confusion et les disputes[1].


De même à Paris, dans les assemblées de sections pour la nomination des électeurs :


Quoiqu’il y eût des ordres pour n’admettre que les habitans de la section, cet ordre fut très peu suivi… Après les premiers momens, on laissa passer tous ceux qui se présentaient en habit décent. Dans plusieurs sections, on eut de la peine à réunir un nombre suffisant de personnes… J’étais à la section des Filles Saint-Thomas… Pendant longtemps, il n’y avait pas deux cents individus. L’embarras de se mettre en action était extrême ; le bruit était affreux. Tout le monde était debout, tous parlaient à la fois ; les plus grands efforts du président n’obtenaient pas deux minutes de silence. Il y eut bien d’autres difficultés sur la manière de prendre les suffrages et de les compter. J’avais recueilli plusieurs traits curieux de cette enfance de la démocratie, mais ils sont à peu près effacés de ma mémoire ; ils revenaient tous à l’empressement des hommes à prétention, qui voulaient parler pour se faire connaître, et se faire connaître pour être élus[2].


De même et bien pis encore, aux États-Généraux :


Quand j’entrai dans la salle, il n’y avait ni sujet de délibération ni ordre quelconque. Les députés ne se connaissaient point les uns les autres ; mais ils apprenaient par degrés à se connaître : ils se plaçaient partout indifféremment, ils avaient choisi les anciens pour présider ; ils passaient le jour à attendre, à débattre sur de petits incidens, à écouter les nouvelles publiques, et les députés des provinces apprenaient à connaître Versailles. La

  1. Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives, par Etienne Dumont (de Genève), ouvrage posthume publié par M. J.-L. Duval, membre du Conseil représentatif du canton de Genève ; 1 vol. in-8o, 1832. Paris, Gosselin et Bossange, p. 29-31.
  2. Ibid., p. 39-40.