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point à sa place, à surprendre l’Assemblée par quelque chose d’imprévu. On avait nommé un comité de constitution, mais ce comité, plein de jalousie et de démêlés, ne sut jamais ni s’entendre ni diriger les travaux vers un but commun. C’était l’Assemblée en miniature, les mêmes élémens, les mêmes préventions, le même désir de se surpasser et de briller exclusivement, la même guerre d’amour-propre ; enfin, chacun prit sur soi d’introduire les matières à son gré, et souvent sans autre raison que le désir d’être le premier : l’étude et la méditation n’entraient pour rien dans le plan de l’Assemblée ; tous les décrets se passaient presque à la pointe de l’épée, comme dans une place qu’on prend d’assaut : il n’y eut aucun intervalle, aucune trêve accordée aux passions. Après avoir tout abattu, il fallut tout refaire à la fois, et l’Assemblée avait une si haute opinion d’elle-même, surtout le côté gauche, qu’on se serait chargé volontiers de faire le code de toutes les nations… Les historiens diront assez les malheurs de la Révolution ; mais il n’est pas moins essentiel de marquer les fautes primitives qui ont amené ces malheurs[1].


Etienne Dumont, sous l’influence évidente de Bentham, ne se lasse pas d’y revenir. « Les formes sont pour une Assemblée ce que la tactique est pour une armée. Il y avait autant de différence entre les délibérations de l’Assemblée nationale et celles du parlement d’Angleterre qu’entre les sièges et les marches savantes des Autrichiens et les escarmouches ou les combats irréguliers des Croates[2]. » Ce que Dumont devait voir si clairement quand il rassemblait ses souvenirs dans le calme qui succédait au grand bouleversement, plus d’un, en France même, aux prises avec des difficultés quotidiennes auparavant insoupçonnées, mais lentement destructrices des bonnes volontés, plus d’un, rendu inactif malgré lui dans les temps de l’action, impuissant lorsqu’il eût tant souhaité de pouvoir, l’entrevoyait déjà obscurément. La question fut soulevée incidemment à la séance des États-Généraux du lundi 25 mai 1789[3]. Les Archives parlementaires relatent ainsi cette affaire :


M. LE DOYEN (des Communes) lit une motion qui lui a été remise ; elle contient quatre points : 1° Que chaque député ne pourra entrer qu’en habit noir, ou du moins qu’il ne pourrait parler en habit de couleur ;

2° Que les étrangers ne pourraient se placer que sur les gradins élevés

  1. Souvenirs sur Mirabeau, p. 156-160.
  2. Ibid., p. 346.
  3. Elle l’avait été une première fois par Leroux, à la séance du 8 mai. Mais, après une intervention de Rewbel, il avait été décidé, le 9, sans statuer sur l’adoption ou le rejet des quelques articles présentés, « de laisser provisoirement la police de l’assemblée à M. le doyen. »