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sur les deux côtés de la salle, et que les députés se mettraient dans l’enceinte ;

3° Que les bancs seraient numérotés et tirés au sort, et les doyens changés tous les huit jours ;

4° Que les bancs du clergé et de la noblesse seraient toujours vides.

Il s’élève beaucoup de tumulte pour savoir si on mettra ces quatre propositions en délibération.

On va aux voix sur les objets de la motion.

Les premiers opinans sont d’avis d’abandonner cette motion qui convenait peu à la dignité d’une nation rassemblée ; que de semblables discussions ne fourniraient que trop de matière aux plaisanteries des folliculaires ; et que, lorsqu’on avait à délibérer sur des affaires beaucoup plus importantes, on ne devait pas s’agiter sur la manière dont on serait vêtu.

D’autres veulent prouver que chaque député ne doit pas entrer dans la salle sans son habit noir, costume qui, par son uniformité, fait disparaître la vanité ridicule des riches.


Aussitôt MIRABEAU :


Toutes ces discussions prouvent la nécessité d’un règlement de police dans lequel les objets proposés pourront être déterminés. Je demande qu’on nomme des commissaires pour travailler à la rédaction de ce règlement, qui sera sanctionné par l’Assemblée, et au moyen duquel on remédiera au tumulte et à la longueur des délibérations. Comme les délibérations les plus sérieuses vont se présenter chaque jour, il faut nécessairement arrêter les formes les plus sévères pour établir l’ordre et la liberté des débats, et recueillir les voix dans toute leur intégrité. A Dieu ne plaise que je blesse aucun amour-propre, ni même que je m’afflige de nos débats un peu bruyans, qui jusqu’à présent ont mieux montré notre zèle et notre ferme volonté d’être libres que ne l’eût fait la tranquillité la plus passive ! Mais la liberté suppose la discipline ; et puisque tous les momens peuvent nécessiter des démarches dont on ne saurait prévoir toutes les suites ni s’exagérer l’importance, il faut, pour l’acquit de tous nos devoirs, et même pour notre sûreté individuelle, prendre un mode de débattre et de voter qui donne incontestablement le résultat de l’opinion de tous.

M. MOUNIER. — J’expose qu’il y a quinze jours, ayant proposé la même motion, elle fut rejetée par l’avis même de M. de Mirabeau. Les causes qui lui ont servi de prétexte pour faire rejeter ce règlement étaient qu’il fallait opposer une force d’inaction aux refus des deux ordres de vérifier les pouvoirs en commun ; ces motifs subsistent encore, je ne peux pas me rendre à l’opinion actuelle de M. le comte de Mirabeau.

M. LE COMTE DE MIRABEAU. — Le règlement ne sera que provisoire, au lieu qu’on proposait, il y a quinze jours, un règlement définitif[1].

L’avis de M. Mirabeau passe à la pluralité de 436 voix contre 11.

  1. Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, imprimé par ordre de l’Assemblée nationale sous la direction de MM. Mavidal, Laurent et Clavel, 1re série (1789 à 1799), t. VIII, du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789, p. 47-48. C’est dans cette séance, et à propos de l’expression employée par Mounier : « M. le comte de Mirabeau, » qu’il arriva à l’illustre tribun une petite histoire assez désagréable :
    « Un membre. J’observe que les rangs et les titres ne doivent pas être répétés sans cesse dans une assemblée d’hommes égaux.
    M. LE COMTE DE MIRABEAU. J’attache si peu d’importance à mon titre de comte que je le donne à qui le voudra ; mon plus beau titre, le seul dont je m’honore, est celui de représentant d’une grande province, et d’un grand nombre de mes concitoyens.
    Un membre. Je suis de l’avis de M. le comte de Mirabeau. Je dis M. le comte, car j’attache si peu d’importance à un semblable titre, aujourd’hui si prodigué, que je le donne gratis à qui voudra le porter. »