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elle seule, amovible par elle seule. La thèse posée en ces termes, avec sa netteté ordinaire qui, lorsque la bizarrerie parfois recherchée de l’expression ne vient pas la brouiller, découpe la pensée en formules et comme en silhouettes devant les yeux, Bentham l’appuie de l’argumentation pressante et pénétrante, forte de l’incomparable force de son analyse, qui lui est propre et qui le fait lui-même entre tous.


Ce Président unique doit être permanent, — non seulement pour éviter les embarras des élections multiples, mais surtout pour le bien de son office. Permanent, il aura plus d’expérience, il connoîtra mieux l’Assemblée, il sera plus au courant des affaires, et il se sentira plus intéressé à les bien conduire qu’un Président passager. Celui-ci, qu’il remplisse bien ou mal sa place, doit toujours la perdre. Le Président permanent, qui ne la perd qu’en la remplissant mal, a un motif de plus pour en accomplir tous les devoirs.

Craindroit-on qu’au moyen de cette permanence, il n’acquît trop d’ascendant ? Mais plus cet ascendant seroit grand, plus il tourneroit au profit général, si d’ailleurs le règlement lui ôte tout moyen d’acquérir une influence indue sur l’ordre des motions et sur la manière de recueillir les votes[1].


Contre la thèse de Sieyès en faveur d’un président souvent changé, hebdomadaire, la puissance logique de Bentham n’a pas de peine à faire prévaloir la sienne. La page est de tout point remarquable :


Toutes les fonctions qui appartiennent en propre à l’office du Président lui appartiennent sous deux capacités, celle de juge entre les membres individuels, celle d’agent de l’Assemblée : juge quand il survient une contestation à décider ; agent dans les autres opérations de son ministère[2].

Dans ces deux capacités, toutes ses décisions, toutes ses opérations doivent être subordonnées à la volonté de l’Assemblée, et subordonnées à l’instant même. L’Assemblée n’a d’autre motif pour s’en rapportera lui que la supposition de sa conformité au vœu général. La décision du Président, si elle est ce qu’elle doit être, n’est rien de plus qu’une décision donnée pour l’Assemblée, en moins de temps qu’elle n’en mettroit à la donner elle-même.

J’ai dit que le Président ne devoit exercer dans l’Assemblée aucune autre fonction que celles qui appartiennent en propre à son office, c’est-à-dire qu’il lie doit pas avoir le droit de faire des motions, de délibérer, de voter.

Cette exclusion est tout à son avantage, comme à celui du corps qu’il préside.

  1. Tactique des assemblées législatives, p. 70.
  2. « Par exemple, poser la question ; déclarer le résultat des votes ; donner des ordres à des subalternes ; adresser des remerciemens ou des remontrances à des individus, etc. »