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soldats de l’Empereur les enveloppèrent. Le bombardement dura des jours et des nuits. Saïgo voyait tomber autour de lui l’élite de ses Ecoles. Enfin on ordonna l’assaut : un boulet l’atteignit à la cuisse ; il lit un signe à son dernier lieutenant, Hemmi, qui de son lourd sabre lui trancha la tête. Un de ses serviteurs prit cette tête, mais il l’enterra si précipitamment que les cheveux sortaient de la poussière et que, le lendemain, un coolie la découvrit et l’apporta dans la cour du temple où le vainqueur dénombrait les cadavres.

La guerre civile avait coûté au gouvernement deux cent dix millions. Cinquante mille maisons avaient été détruites ; trente-cinq mille hommes, blessés ou tués. Sur les quarante-deux mille accusés qui passèrent à Nagasaki devant la cour martiale, trois mille furent condamnés à quelques années ou à quelques mois de prison ; vingt seulement, décapités. Peu de gouvernemens, victorieux d’une rébellion si redoutable, donnèrent un tel exemple de mansuétude. Les Japonais au pouvoir comprirent que les rebelles avaient été surtout des victimes. Et tous respectèrent ces ennemis vaincus, dont l’héroïsme mal employé attestait cependant que la race n’avait point dégénéré et qu’on pourrait compter sur elle dans les guerres étrangères. Songeons aussi que, seules, les idées divisent irrémédiablement les hommes. On n’en triomphe ni par le fer, ni par le feu, ni dans le sang. Le combat qui les a terrassées n’a point prouvé qu’elles avaient tort. Ici, l’absence d’idées facilita la tâche des pacificateurs. Les Satsuma acceptèrent en silence une défaite qui contrariait leurs intérêts mais qui n’humiliait point leur pensée. Et pas plus qu’ils ne rêvèrent de représailles, ils ne rendirent Saïgo responsable des ruines accumulées.

Sur la hauteur qui domine la ville et la baie, ses fidèles, rangés à sa droite, à sa gauche et derrière lui, semblent avoir gardé sous leurs pierres funèbres leur dernier ordre de bataille. Ils sont là comme les dieux protecteurs de la cité. On a institué en leur honneur une grande fête qui revient chaque année, et, les deux fois que je suis monté vers leurs tombes, j’y ai trouvé des fleurs nouvelles.

A quelque distance de ces tombes si pieusement entretenues, près de la mer, dorment les soldats des troupes impériales. Mais leurs femmes ni leurs enfans n’habitent Kagoshima. Ce sont des étrangers dont personne ne lave et ne fleurit les pierres