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le tissage, la broderie, la couture, la teinturerie, les fleurs artificielles, et font, avec une propreté de ménagères hollandaises, des cuisines scientifiques dans leur laboratoire de chimie… Et pendant que maîtres et élèves travaillaient ainsi à « s’européaniser, » les soldats, les petits soldats, fils de la rébellion, plus chétifs, — car leurs mères appauvries ne les nourrirent que de millet, — descendaient vers la ville, par groupe de deux ou trois, la main dans la main, silencieux, d’un pas rythmé. La discipline marchait avec eux sur la grand’route ensoleillée…

A mesure que je visitais ces écoles, un sentiment de respect et d’admiration grandissait en moi. Je ne me dissimulais point tout ce qu’elles avaient de superficiel, d’incomplet, de prétentieux et même, d’incohérent. Mais sur cette pointe extrême du Japon, dans cette province de l’Empire la plus inaccessible aux idées européennes, dans cette ville de vaincus avantageux, où la caste des nobles régnait depuis plus de mille ans sans partage et sans conteste, je ne m’attendais pas à trouver un peuple d’apparence uni, marchant du même pas que ses vainqueurs du Nord, se pliant à la même discipline étrangère, presque orgueilleux de supporter aujourd’hui ce qu’il abhorrait hier. Je vois bien les bénéfices que les plébéiens en ont retirés. Mais leur opinion n’a pas compté. La Révolution japonaise, commencée comme une révolution de palais, s’est achevée dans une révolte militaire. La plèbe qui devait en profiter n’y a joué aucun rôle. Et le spectacle de Kagoshima, ancien repaire des privilèges féodaux transformé en cité presque démocratique, me paraît très révélateur de la vitalité souple et puissante du peuple japonais.

Mais ne reste-t-il de l’antique Kagoshima que des murs écroulés et des tombes ? Gardons-nous de croire que son esprit n’a pas entièrement abdiqué. Femmes et jeunes filles, on devine qu’un long mépris pèse encore sur leur sexe. Dans le peuple, beaucoup d’entre elles laissent pendre leurs cheveux à peine serrés à la nuque. Dans les écoles, chez les filles de la noblesse comme chez celles de la campagne, nulle coquetterie, nul raffinement de toilette. Les figures sont généralement laides, lourdes, carrées, mais avec une expression de franchise et de bonne volonté qui supplée à la grâce de l’éternel sourire.