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Les jeunes gens ont hérité de leurs pères une grossière répugnance à ce qu’ils appellent la lâcheté de l’amour. Aujourd’hui, comme autrefois, l’étudiant qui aimerait une jeune fille, et qui se commettrait avec elle, serait taré : ses camarades le chasseraient et chasseraient quiconque lui adresserait un salut. Les théâtres, tous mauvais, ne sont fréquentés que par la canaille. Mais les Ecoles Privées de Saïgo, ces fameuses Écoles où s’exaltait l’esprit des Satsuma, se sont reformées d’une manière assez curieuse. La ville possède dix sha ou écoles de quartier, absolument indépendantes du gouvernement. Quelques-unes ne sont que des hangars. Les étudians s’y réunissent afin d’y répéter leurs cours sous la direction d’un homme qui remplace l’ancien chef de clan. Ils organisent des associations rivales, des espèces de « nations, » dont les membres se surveillent et rigoureusement s’affermissent dans leur vieux principe de l’honneur. Ce n’est pas, le désir de s’instruire qui les y pousse, car, sauf l’étude du chinois, les matières qu’on leur enseigne ne les passionnent guère ; mais ils y respirent une atmosphère saturée des vapeurs de l’ancien temps. Ils en sortent armés de gourdins et chantant des chansons guerrières, — des chansons à réveiller les morts ! Et leurs morts, s’ils se réveillaient, ne s’étonneraient en vérité que de leur voir des bâtons dans les mains au lieu de sabres à leurs ceintures.

Ces jeunes gens nous dévisageraient volontiers comme si nos yeux profanaient leur terre. Mais plus je sens leur instinctive répulsion, plus j’admire qu’ils sachent la brider. On leur a signifié que leur pays ne croîtrait en force et en honneur que par l’assimilation des idées et des méthodes européennes. Et, bien que ces méthodes et ces idées leur soient odieuses, ils en ont commencé l’apprentissage. Leur fierté patriotique a presque étouffé leur orgueil nobiliaire. Ils acceptent d’être nos élèves, avec la naïve pensée qu’ils seront bientôt nos maîtres. On retrouve affichés en eux tous les défauts des demi-savans qui n’ont point conscience de leur ignorance. Mais ne sommes-nous pas toujours tentés d’attacher un trop grand prix à la vertu de l’instruction ? La communauté des sentimens est autrement importante ! L’histoire nous montre que le Japon, travaillé par l’anarchie, n’a réalisé son unité que dans sa haine contre l’étranger et dans sa volonté de s’égaler à lui. Cette haine a pris toutes les formes : le mépris, la ruse, la flatterie, la