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curiosité. Je la préfère sous les dehors rugueux où nous la présentent les Satsuma. Peut-être l’intérêt du Japon n’exige-t-il pas encore qu’elle disparaisse tout entière. Certains peuples ont une surabondance d’humeur combative qui, dès que la crainte ou la défiance de l’étranger ne l’absorbe plus, se résorbe en eux-mêmes et les empoisonne.

C’est pourquoi la ville de Saïgo m’a laissé l’impression d’un Japon rude et sombre, au sein d’une nature resplendissante, mais dont la rudesse me reposait des aménités parfois frauduleuses du Japon central.

Le gentilhomme écuyer, le kerai, du vieux prince Shimadzu, mort quelques mois auparavant, m’ouvrit les portes de l’habitation seigneuriale où demeuraient encore les femmes du prince et les cadets de ses enfans. L’une d’elles, que je ne vis point, était toute jeune. Un ou deux ans avant de mourir, le jour des grandes courses, le Prince l’avait remarquée pour sa modestie et avait ordonné qu’on la lui amenât, car il avait gardé les usages et les privilèges de ses ancêtres. Il vivait à l’écart, entouré de médecins chinois ; et, comme lui, ses fils portaient l’ancienne coiffure. Le lendemain de ses funérailles, on les a fait tondre à l’européenne, et l’aîné est parti pour Tôkyô. Son palais de Kagoshima avait été démoli ; mais les Shimadzu possédaient de nombreuses maisons de campagne. Il se retira dans la plus belle, près de la ville et de la mer, en face de Sakura, l’île volcanique aux sources d’eau chaude et aux pentes herbeuses, dont le volcan s’élève avec la même grâce que le mont Fuji.

Cette résidence se distingue à peine de la colline où elle s’appuie et de la forêt qui l’enveloppe. Elle se cache, et c’est un monde. La maison en bois clair est d’une simplicité que rehausse ça et là un objet d’art infiniment précieux : une coupe, un vase, un écran, une peinture. Il suffit d’un seul de ces bijoux, et la pièce en est meublée comme si elle avait été faite uniquement pour le contenir. De temps en temps, le plancher rend sous nos pas un cri plaintif qui, dans ces demeures où l’on marche toujours sans chaussure, avertit les maîtres toujours défians qu’un serviteur ou qu’un visiteur approche. Les jardins et le parc, enrichis de plantes exotiques et d’essences tropicales, — car le