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pensais. On m’avait proposé, lorsque je quittai Kumamoto, de me montrer les houillères et la prison d’Omuta, et j’avais accepté, sans enthousiasme. Le train manqué m’eût dégagé de ma promesse et m’eût permis de regagner d’une traite le port de Moji. Aujourd’hui, je ne regrette pas que le train soit parti avec un quart d’heure de retard, car la prison d’Omuta reste un de mes plus acres souvenirs de cette grande île.

Je ne dirai rien des mines, sinon que l’absence de feu grisou les rend peu meurtrières. La Société qui les-possède y emploie cinq mille ouvriers et forçats. Si les galeries en sont mal aérées et toujours menacées par les eaux, le souffle de la mer très proche assainit les villages des mineurs. Dans cette nature implacablement délicieuse, ils ressemblent plutôt à des villages de pêcheurs qu’aux agglomérations lugubres des enfans de la terre noire. Ces ouvriers ont la même insouciance paresseuse que ceux des fabriques. La main-d’œuvre au Japon est presque partout lente et molle. Ils ne se sont pas encore plus mis en grève que les forçats ne se sont révoltés.

J’avais déjà vu à Tôkyô une prison, une de ces prisons modèles dont une vieille femme, qui y avait été enfermée quelque temps, disait en rentrant chez elle à ses petits-fils : « Ah ! mes enfans, quel bon riz on mangeait là-bas ! Et quels beaux cerisiers fleurissaient dans la cour ! Il n’y en a pas de pareils même au parc d’Uyéno. » Je n’ai point remarqué de cerisiers dans la prison d’Omuta ; mais j’y ai retrouvé ces épaisses galeries en bois grillagées et séparées les unes des autres, exactement semblables à nos ménageries. Derrière les barreaux, exposés au froid ou à la chaleur, harcelés par les moustiques, les condamnés étaient étendus sous des couvertures d’un jaune capucine. Les grandes cages en contenaient une vingtaine ; les moyennes, cinq ou six ; les petites n’en logeaient qu’un à qui son isolement donnait l’air redoutable.

Un garde-chiourme, armé d’un bâton, s’avançait vers le directeur, faisait le salut militaire, et, frappant sur le plancher comme un dompteur qui secoue la torpeur de ses bêtes, criait : « Saluez ! » Ceux que la fatigue de la nuit et le sommeil n’avaient pas terrassés, se prosternaient et attendaient le second commandement : « Relevez-vous ! » Leur visage n’avait point d’expression farouche ; mais il semblait dépourvu de vie personnelle, et triste de cette tristesse qui n’est peut-être qu’une absence de pensées