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LE FRÈRE DE VOLTAIRE
(1685-1745)

Il serait bien curieux le chapitre d’histoire littéraire qui serait intitulé Voltaire et son frère ; mais, suivant toute apparence, on n’écrira jamais ce chapitre-là, car Voltaire paraît avoir pris un malin plaisir à ne pas renseigner la postérité sur les divers membres de sa famille. On sait en gros qu’il était fils d’un ancien notaire au Châtelet devenu sur le tard receveur des épices de la Chambre des comptes ; on sait également qu’il perdit sa mère de très bonne heure, qu’il avait un frère plus âgé que lui d’environ dix ans, et que sa sœur aînée, devenue Mme Mignot, a donné le jour à l’abbé Mignot, à Mme Denis et à Mme de Fontaine. Hors de là, on ne sait rien ; sur les dix ou douze mille lettres qui composent la correspondance de Voltaire, il n’y en a pas une qui soit adressée à son père, mort septuagénaire en 1722, ou à son frère aîné, qui vécut encore vingt-trois ans, ou à sa sœur ou à son beau-frère. L’auteur du Siècle de Louis XIV dit que son père avait bu jadis avec Corneille, et il paraît insinuer que ce receveur des épices était un homme dur et austère. Quant à son « janséniste de frère, » c’est à peine s’il lui a consacré vingt lignes, et elles sont d’une bien grande sévérité. Écrivant en anglais à son ami Thiériot, le 14 juin 1727, il déclare que son frère est le dernier des hommes à qui on pourrait confier le secret de son retour d’Angleterre ; il se plaint de son caractère indiscret, de sa grossièreté pédantesque, de son insolent égoïsme, et il dit en finissant : « Je vous avoue dans l’amertume de mon cœur que son insupportable conduite envers moi a été une de mes plus vives afflictions. » Dix ans plus tard, cherchant à découvrir si ce frère