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ne serait pas marié secrètement, il déplore son fanatisme, et dit qu’on le croit « fort intrigué dans l’affaire des convulsions. » Il n’est même pas question de lui en 1745, année de sa mort, bien que Voltaire, qui a signé son acte de décès, ait été son héritier. Quelle a été la nature de leurs relations ? nul ne le pourrait dire au juste ; mais ce que l’on sait, ce qui ressort de l’examen des documens contemporains, c’est qu’il était impossible de voir deux hommes plus dissemblables. « J’ai deux fils qui sont tous deux fous, aurait dit leur père, l’un fou de dévotion, et l’autre fou pour les vers et pour le théâtre. » C’est cette folie de dévotion qu’il peut être intéressant de considérer en étudiant d’après les sources le caractère et le rôle du janséniste convulsionnaire qui se nommait Armand Arouet, « le frère Brou ou le frère à la Bague. »


On sait aujourd’hui, grâce aux recherches de Jal, qu’Armand Arouet naquit à Paris le 22 mars 1685, et qu’il fut baptisé le 5 avril de la même année dans l’église de Saint-Germain-le-Vieil, une des nombreuses paroisses de la Cité. Il avait pour parrain « très haut et très puissant seigneur monseigneur Armand-Jean Du Plessis, duc de Richelieu, » et sa marraine, « très puissante dame Charlotte de Loobespine (sic, lisez l’Aubespine), » était la duchesse de Saint-Simon, la propre mère de l’auteur des Mémoires. Avec de pareils protecteurs, un ambitieux aurait pu se pousser dans le monde ; Armand paraît n’en avoir jamais eu le désir. Il a laissé son cadet courtiser les Richelieu et se servir de leur crédit pour faire sa fortune. En 1709 (c’est encore à Jal que l’on doit cette indication), il assistait avec François-Marie au mariage de leur sœur Marie-Marguerite qui épousait le sieur Mignot, et il prenait sur le registre la qualité de clerc tonsuré demeurant à Saint-Magloire. Agé alors de vingt-quatre ans environ, il n’était plus, comme on l’a cru à tort, un écolier en soutane. La dévotion sans doute l’avait porté à vouloir se faire oratorien. Mais en 1709, l’année qui vit détruire le monastère de Port-Royal, l’Oratoire était persécuté par les jésuites qui proposaient de l’anéantir ; et si le jeune Arouet inclinait dès lors vers le jansénisme, comme il y a lieu de le croire, il put comprendre qu’il ne ferait pas bon d’être le confrère du Père Quesnel. Il abandonna donc le petit collet, et il rentra dans le monde. Le 2 janvier 1722, il assistait dans l’église de Saint-Barthélémy en la Cité à l’inhumation de son vieux père, et