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l’acte de décès, signé par les deux fils du défunt, prouve qu’ils habitaient l’un et l’autre le bâtiment du Palais où venait de mourir le receveur des épices de la Chambre des comptes. Bien qu’ils suivissent des voies très différentes, puisque Voltaire était déjà l’auteur d’Œdipe et que la Henriade était presque achevée, Armand et François-Marie n’étaient pas alors des frères ennemis ; suivant toute apparence, ce sont des discussions d’intérêt qui les ont divisés à tout jamais. Voltaire accusait son père de l’avoir déshérité ; il ne se contentait pas des quatre ou cinq mille livres de rentes que lui valait sa part de la succession paternelle ; il attaqua donc le testament, et un procès fut engagé qui dura longtemps et qui ne paraît pas avoir été gagné par le poète.

Plusieurs années s’écoulèrent durant lesquelles le receveur des épices semble n’avoir joué aucun rôle, tandis que son frère le poète, bâtonné par le chevalier de Rohan et embastillé pour la seconde fois, était finalement exilé en Angleterre. On peut toutefois se demander si Armand n’aurait pas lui aussi rimé quelques vers ; s’il n’aurait pas du moins engagé son frère à faire œuvre de poète janséniste ; si, en un mot, il ne serait pas l’auteur ou plus probablement l’inspirateur de deux petits ouvrages en vers : un poème dont il existe des copies manuscrites avec cette indication ; Poème héroïque de M. Aroüette (sic) de Voltaire et une ode en 19 strophes contre les jésuites. Les poésies jansénistes du XVIIIe siècle sont en général d’une grande platitude, et l’on a dit en plaisantant que la grâce, sans laquelle un poète ne peut rien, est précisément ce qui leur manque le plus. Or les vers attribués à Voltaire tranchent manifestement sur les autres ; la facture en est assez bonne ; il s’y rencontre çà et là de beaux vers, et certaines allusions, certaines espiègleries, certaines méchancetés aussi donnent à penser que les deux pièces pourraient bien être de lui. Si ce n’est pas lui qui les a composées, c’est donc son frère ou bien quelqu’un des siens. Mais, comme le dit avec raison un bibliophile du temps qui avait inséré dans ses recueils des copies de ces deux poèmes, ils ne sauraient être antérieurs à 1728. Or, Voltaire à cette date était encore en Angleterre ; il publiait la Henriade, il travaillait pour le théâtre, et ne paraissait guère songer aux querelles religieuses qui reprenaient avec une nouvelle intensité depuis la mort du diacre Paris. Il est bien difficile aussi d’admettre que Fauteur de l’Épître à Uranie, le Lucrèce nouveau qui voulait dès 1722 « arracher à la religion son