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poète se dit « condamné ; » ce sont surtout les traits satiriques que l’auteur a trouvé moyen de semer à tout propos et quelquefois hors de propos ; c’est enfin la désinvolture parfaite avec laquelle ce même auteur laisse voir qu’il est fatigué, qu’il ne s’intéresse puis à ce qu’il semblait vouloir prouver. La fin de ce petit poème est bien digne de ce gamin de Paris qui, lors de la première représentation de son Œdipe, faisait force gambades sur la scène derrière le devin Tirésias. Il est difficile de prendre au sérieux une œuvre dont voici les derniers vers :


Ainsi parle le saint, et Fleury qui l’écoute,
Le voyant remonter dans la céleste voûte,
Dans les troubles divers dont il est travaillé,
Doute s’il dort encore ou s’il est éveillé.


On comprend que les amis de Soanen ne se soient pas souciés de publier un tel poème, et que Voltaire n’ait pas éprouvé plus tard le besoin de l’insérer dans ses Œuvres complètes.

Quant à l’Ode sur les matières du temps, sans être d’une grande envolée, elle fait plus d’honneur au talent poétique de son auteur, et elle peut figurer à côté des odes authentiques de Voltaire. Les vers prosaïques y sont moins nombreux que dans le poème, et l’heureux choix du rythme paraît avoir produit d’assez bons effets. Chacune des dix-neuf strophes de cette ode est composée de six vers dont les trois premiers, trois octosyllabes, donnent, par leur sécheresse même et par la monotonie de leurs rimes accouplées, une certaine ampleur aux trois alexandrins qui les suivent. Voici, par exemple, la dixième strophe, dans laquelle le poète veut nous montrer Satan qui suggère à Loyola l’idée d’instituer la Compagnie de Jésus :


L’habile tyran du Cocyte,
Arrêtant sa vaine poursuite,
Lui promet de plus grands exploits ;
Et pour le couronner d’une gloire immortelle
Il lui dicte le plan d’une secte nouvelle
Qui doit marcher un jour sur la tête des rois.


Et la dix-huitième strophe n’est pas moins caractéristique :


Grand Dieu ! c’est toi que l’on insulte ;
Les ennemis de ton vrai culte
N’en veulent pas demeurer là.
Tu ne peux établir ton pouvoir sur la terre
Qu’en les précipitant, par un coup de tonnerre,
Dans le fond du Tartare aux pieds de Loyola.