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quelques raisons pour préférer au nom d’Arouet celui qu’il s’était donné lui-même en entrant dans le monde des lettres.


« Savez-vous ce que c’est qu’un convulsionnaire ? a dit Voltaire quelque part. C’est un de ces énergumènes de la lie du peuple qui, pour prouver qu’une certaine bulle du Pape est erronée, vont faire des miracles de grenier en grenier, rôtissant des petites filles sans leur faire du mal, leur donnant des coups de bûche et de fouet pour l’amour de Dieu, et criant contre le Pape. » C’est du frère de Voltaire considéré comme énergumène et comme rôtisseur de petites filles qu’il va être question maintenant, et l’on verra, grâce à de précieux documens imprimés ou manuscrits que nous a transmis le XVIIIe siècle, le rôle de M. le receveur des épices de la Chambre des comptes devenu l’un des « frères » de l’étrange confrérie du cimetière de Saint-Médard.

Un vieux recueil manuscrit intitulé Notes historiques, dans lequel sont catalogués par ordre alphabétique les personnages qui ont été mêlés de près ou de loin à « l’Œuvre des convulsions, » consacre environ douze pages à Monsieur Arouet, Armand, dit le frère à la bague et aussi Brou. C’est là qu’il faut puiser si l’on veut connaître un des hommes les plus bizarres que la terre ait jamais portés. Or voici ce que disent les Notes historiques, citant le Journal manuscrit de Gabrielle Moler, une convulsionnaire fameuse entre toutes : « M. Arouet était aîné de Voltaire de dix ans ; il avait un esprit singulier, tantôt extrême dans la dévotion, d’autres fois, ne sachant plus à quoi s’en tenir. Il en était de même à l’égard des miracles des convulsions et de toutes autres choses ; en tout il était singulier. Il succéda à Monsieur son père dans la commission ou charge de receveur des épices de la Chambre des comptes. Ce père disait, parlant de ses enfans : j’ai deux fils qui sont tous deux fous, l’un fou de dévotion, et l’autre fou pour les vers et pour le théâtre. » Quelques lignes plus bas, il est encore question de ses singularités, et le manuscrit en rapporte quelques exemples. Un jour il fut trouver un curé de la Cité, et il lui dit en jetant sa bourse sur la table : « Curé, dites-moi la confession de Gabrielle [Moler], et je vous donne ma bourse pour vos pauvres. » Une autre fois, ce grand dévot se mit en tête d’aller à l’Opéra ; il envoya chercher une voiture, et cela en sortant de chez le curé qui ne révélait pas les confessions. Lorsqu’il fut monté, le cocher lui demanda :