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« Monsieur, où faut-il vous mener ? » Alors il dit en balbutiant : « A l’O… à l’O… à l’Hôpital. » Et il se fit conduire, non pas chez les danseuses, mais à la Salpêtrière où était enfermée la convulsionnaire Gabrielle Moler. Le diable l’avait tenté, et il avait failli succomber ; ce fut dans cette circonstance, ajoute la notice manuscrite, que M. Arouet dit avec bien du regret et en pleurant : « Ah ! mon Dieu, mille millions de purgatoire ! » ce qu’il répéta plusieurs fois.

Armand Arouet ne semble donc pas avoir été un esprit bien pondéré ; mais les anecdotes rapportées ci-dessus le représentent simplement comme un homme fantasque et bizarre. C’est avant 1722 que l’ancien notaire Arouet traitait de fous ses deux enfans ; c’est dix ou douze ans plus tard que son fils aîné devint partisan des convulsionnaires ; voici en quelle circonstance. Voltaire et son frère avaient un cousin que les Notes historiques appellent « Monsieur Archambault, gentilhomme de Meaux, de l’illustre famille des Archambault, » et ce cousin, que l’on nous représente comme un homme de beaucoup d’esprit, — on peut être cousin de Voltaire et avoir de l’esprit, — était d’une piété angélique, d’une simplicité d’enfant. « C’est une belle âme, » disait-on de lui quand on voulait le peindre d’un seul mot. Or le cousin Archambault, qui n’était pas précisément de ce que Voltaire appelle la lie du peuple, donna dans les convulsions de la manière la plus complète ; on nous apprend qu’il mourut septuagénaire vers 1765, après avoir « exercé » durant plus de trente ans, sans autre interruption qu’un séjour de deux ans à la Bastille, de 1738 à 1740[1].

Cet Archambault ne paraît pas avoir eu la moindre influence sur Voltaire, si ce n’est peut-être en 1725, lors du mandement de Noailles, et en 1728, à l’époque des deux poèmes jansénistes ; mais ce fut lui qui se chargea d’initier Armand Arouet aux beautés ineffables de l’œuvre des convulsions. Et ce n’est pas dans un grenier, n’en déplaise à Voltaire, que ces deux bourgeois entrèrent en relations avec les convulsionnistes et avec les convulsionnaires ; ils semblent avoir opéré pour la première fois en plein Paris, à deux pas du Palais, chez le curé de Saint-Germain le Vieil en la Cité. Ce curé, dont il a été parlé ci-dessus, était messire Jacques de Rochebouët, docteur de Sorbonne ; il

  1. Voyez Archives de la Bastille, II, 378.