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pris la résolution de la voir souvent, et de l’examiner avec toute l’attention possible. Je fus frappé d’horreur au premier coup d’œil que je jetai sur cette enfant ; à peine avait-elle la figure humaine… Il ne fallait qu’un coup d’œil pour être pénétré d’horreur et de compassion. Je l’ai vue souvent tomber en convulsion ; elle paraissait alors être hors d’elle-même et ne s’apercevoir de rien de ce qui se passait auprès d’elle. Occupée de divers sentimens qui naissaient dans son cœur, elle les exprimait au dehors par des prières courtes et fort vives… Je l’ai vue couper avec des ciseaux un morceau de son cancer ; son sang coulait alors avec abondance. Mais dès qu’elle eut mis de l’eau du puits de M. de Paris sur cette coupure, dans l’instant même le sang fut étanché. Je n’ai vu cela qu’une fois, mais je sais qu’un grand nombre de personnes rendront le même témoignage, l’ayant vu comme moi[1]. Ayant appris que les plus habiles chirurgiens d’Orléans avaient déclaré son mal incurable, et que leurs témoignages se trouvaient confirmés par celui de plusieurs des plus célèbres chirurgiens de Paris, j’ai cessé de la voir assidûment, et j’ai attendu l’événement. Je l’ai vue parfaitement guérie au commencement de 1735, et plusieurs autres fois depuis, et en dernier lieu on me l’a encore présentée aujourd’hui 8 juin 1736. Les convulsions qui ont suivi immédiatement l’invocation du B [ienheureux], dont j’ai été témoin ; son cancer disparu totalement sans qu’il reste sur sa joue et au dedans de la bouche aucun vestige de fer ou de feu ; la parfaite santé dont elle jouit à présent, tout cela m’a convaincu qu’on ne peut donner à un autre agent que Dieu une guérison si miraculeuse. Il n’est que trop vrai que quand Dieu n’amollit point le cœur par l’onction intérieure de sa grâce, les grâces extérieures ne servent qu’à l’endurcir davantage. On ne doit donc point être ni surpris ni intimidé de la contradiction qu’éprouvent aujourd’hui les plus grands miracles, et cela ne doit point empêcher de leur rendre témoignage. C’est dans cet esprit que je me suis déterminé à donner le mien, pour obtenir de Dieu la grâce de ne point voir stupidement des merveilles qui étonnent les yeux et qui souvent laissent le cœur sans vie et sans mouvement. Fait à Paris le 8 juin 1736. Signé : ARMAND AROUET, etc. »

  1. Entre autres M. de Montagni, conseiller de la Grande Chambre, M. Boulin, Bous-doyen de la 1re des Requêtes, M. de Voigny, président de la Cour des aides et M. Boutin de la Boissière, frère du conseiller Boutin.