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Hélinand chante le néant des grandeurs. Innocent III, dans son De contemptu mundi, jette l’anathème à la chair. Le moyen âge n’a rien écrit de plus sombre. La laideur de la vie et l’horreur de la mort y sont peints en traits presque repoussans. Ce pape tout-puissant est aussi triste sur le trône de saint Pierre que Job sur son fumier. Il nous fait sentir l’odeur du cadavre, il nous montre le travail de la décomposition. Il répète avec la Bible : « J’ai dit à la pourriture : Tu es mon père et ma mère, et j’ai dit aux vers du sépulcre : Vous êtes mes frères. »

Il serait facile de citer plusieurs sombres pages du XIIIe siècle que la pensée de la mort a inspirées. Ces livres, néanmoins, ne modifièrent en rien le caractère de ce temps. Aucune de ces tristes pensées n’effleura la sérénité des artistes. Jamais l’art chrétien n’apparut si pur, si consolateur. La douleur et la mort semblent en être bannies.

Mais vers la fin du XIVe siècle on s’aperçoit qu’on est entré dans un monde nouveau. Les artistes ont une autre âme, moins haute, moins sereine, plus prompte à s’émouvoir. L’enseignement de Jésus-Christ les touche moins que ses souffrances. L’art pour la première fois exprime la douleur. C’est à peu près au même moment qu’il s’essaie à représenter la mort. On pourrait presque dire qu’un nouveau moyen âge commence vers la fin du règne de Charles V.

Ce profond changement ne sera parfaitement compris que le jour où l’on aura écrit l’histoire des ordres mendians au XIIIe et au XIVe siècle. Les franciscains et les dominicains, en parlant sans cesse à la sensibilité, finirent par transformer le tempérament chrétien. Ce sont eux qui ont fait pleurer toute l’Europe sur les claies de Jésus-Christ. Et ce sont eux aussi qui ont commencé à épouvanter les foules en leur parlant de la mort. Je suis convaincu que la première pensée de cette danse macabre, que nous allons étudier, appartient aux prédicateurs franciscains ou dominicains.


II

On peut considérer « le Dit des trois morts et des trois vifs » comme une première et timide ébauche de la danse macabre. On connaît la légende : trois morts se dressent soudain devant trois vivans qui reculent d’horreur. Les morts parlent, et les