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profondément les spectateurs. Les moines mendians avaient éprouvé depuis longtemps l’effet des sermons mimés. On sait qu’ils prêchaient la Passion en la faisant représenter au fur et à mesure dans l’église.

Voilà, sans aucun doute, la véritable origine de la danse macabre. Il est possible que le drame soit resté lié à un sermon pendant fort longtemps. Lorsque, en 1453, les Franciscains de Besançon, à la suite de leur chapitre provincial, firent représenter la danse macabre dans l’église Saint-Jean, un sermon l’accompagnait peut-être encore. Pourtant, un document un peu plus ancien établit qu’au XVe siècle la danse macabre était déjà sortie de l’église, et se jouait sur les tréteaux comme une simple moralité. En 1449, le duc de Bourgogne, étant dans sa ville de Bruges, fit représenter « dans son hôtel » le jeu de la danse macabre. Un peintre, Nicaise de Cambrai, qui avait sans doute dessiné les costumes, était au nombre des acteurs.

Jouée dans l’église au XIVe siècle, la Danse macabre fut peinte au XVe. Ici encore le drame a précédé l’œuvre d’art. Rien de plus conforme à cette grande loi que nous avons indiquée ailleurs : c’est le théâtre qui, à la fin du moyen âge, a renouvelé l’art en France et dans toute l’Europe.

On ne connaît pas de danse macabre peinte plus ancienne que celle du cimetière des Innocens. Le Journal du bourgeois de Paris nous en donne exactement la date : « L’an 1424 fut faite la danse macabre aux Innocens, et fut commencée environ le moys d’août et achevée au carême ensuivant. » Il n’y a rien de plus ancien dans l’Europe entière. Malheureusement l’aînée des danses macabres a été détruite. Au XVIIe siècle, pour agrandir la rue de la Charonnerie, on démolit le charnier qui la bordait, et la vieille fresque disparut sans qu’aucun artiste ait daigné en prendre une copie.

Il importe pourtant de se faire une idée de la première de nos danses macabres, et on va voir qu’on le peut.

Il y a, à la Bibliothèque Nationale, deux manuscrits de l’abbaye de Saint-Victor, qui nous donnent un long dialogue en vers français entre des morts et des vivans[1]. Or, en tête des deux volumes, dans les deux tables de matières, on lit cette rubrique qu’accompagne le chiffre exact de la page où commence

  1. Latin 14 901 et français 25 550.