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le dialogue : « Les vers de la danse macabre, tels qu’ils sont au cimetière des Innocens. » Aucun doute n’est possible. Nous avons là une copie authentique des vers qui étaient inscrits sous les personnages de la fresque. Les manuscrits de Saint-Victor paraissent être de la première moitié du XVe siècle, et de fort peu postérieurs à la peinture. Les vers ont été transcrits par quelque religieux de l’abbaye dans toute leur nouveauté.

Voilà un point acquis. Grâce aux manuscrits de Saint-Victor (qui concordent parfaitement), nous connaissons les noms des personnages que l’artiste avait peints, nous savons leur nombre, nous les voyons dans l’ordre où ils se présentaient au spectateur.

Il y a là déjà de quoi satisfaire. Mais on peut pousser plus avant.

Guyot Marchant, l’imprimeur parisien, fit paraître, en 1485, la première édition de sa Danse macabre[1]. Des gravures sur bois, du plus beau caractère, illustrent un dialogue entre les morts et les vivans. Or, si on lit avec quelque attention les vers qui accompagnent les gravures, on s’aperçoit tout de suite que ce sont précisément ceux des deux manuscrits de Saint-Victor. Guyot Marchant avait donc tout simplement copié les inscriptions du cimetière des Innocens.

Mais, s’il a copié les vers, n’a-t-il pas copié aussi les personnages ? Et ses fameuses gravures ne seraient-elles pas, par hasard, la reproduction pure et simple de la danse macabre de 1424 ? S’il en est ainsi, nous ne devons rien regretter, et l’œuvre que nous croyions perdue, nous l’avons.

Il ne faut pourtant pas trop se hâter de conclure. Il me paraît certain que la Danse macabre de Guyot Marchant est une imitation de la danse macabre des Innocens, mais ce n’est pas une copie servile. Plusieurs petits détails le prouvent. Il est évident, d’abord, que les costumes ont été rajeunis. Quelques personnages sont vêtus à la mode du règne de Charles VIII. Les souliers à bouts carrés, pour prendre un exemple, sont de cette époque, et non de 1424. En effet, pendant toute la première partie du siècle, et jusque vers 1480, on porta des souliers à bouts très pointus qu’on appelait souliers à la poulaine. D’autre part, je remarque qu’une des gravures ne correspond pas

  1. Cette première édition, moins complète que les suivantes, nous est connue par un exemplaire unique de la Bibliothèque de Grenoble.