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taisent, mais les coteaux de Carnac renvoient de longs échos.

Paul Jones appelle son timonier :

— Vous pouvez dire à l’équipage que ceci est le salut de la France à notre République et le premier hommage rendu à nos couleurs.

Tous entendent, tous comprennent qu’ils viennent d’assister au baptême d’une grande nation, tandis que le petit capitaine, soulevant son chapeau, reste immobile, les yeux fixés sur le drapeau américain.

La précision des moindres détails dans ce chapitre, aussi sobre qu’il est émouvant, montre assez avec quelle conscience miss Jewett a voyagé en Bretagne, suivant pas à pas, le long des côtes, la route même du Ranger. Sur tous les points, elle s’est renseignée de même aux sources les plus vivantes et les plus sûres. On dirait qu’à Paris elle a prêté l’oreille aux propos de Franklin, qui tient en échec les bouillans projets de Paul Jones, et qu’à Bristol, elle a fréquenté les royalistes émigrés, si surpris d’être froidement reçus dans la mère patrie où ils n’ont plus leur place. Tout est étudié de près, documenté, reconstitué. Si la version française d’un Tory Lover eût paru un an plus tôt, gageons que le public se serait ici beaucoup plus intéressé à un événement qui ne fit que peu de bruit, en somme, la translation des cendres exilées de Paul Jones. Nous étions mal renseignés sur ce grand marin qui eut le malheur de survivre obscurément à sa renommée.

On ne peut douter, en tout cas, que la publication de l’œuvre originale aux États-Unis t’ait contribué à créer un renouveau d’enthousiasme pour l’héroïque aventurier qui avait déjà inspiré à Cooper le Pilote, et dont la tombe anonyme se cachait, après tant de hauts faits, sous le pavé de Paris.

Mérite rare dans un roman dont une partie se passe en France, on ne relèvera dans A Tory Lover aucune des lourdes bévues habituelles aux auteurs anglais et américains qui s’égarent chez nous pour le choix de leur sujet. Il est bien probable qu’ils se moquent des fautes que nous faisons en parlant de leurs pays respectifs, comme nous sourions de celles qu’ils commettent à notre endroit, mais qui donc nierait que dans ces fautes ils retombent plus souvent que nous ? Quelle fureur de citer en les écorchant des mots dont on dénature le sens, d’émailler un dialogue de phrases inintelligibles ! Et ceci n’est