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marquent précisément la double influence du droit écrit et non écrit. Deux lois concernant la vie domestique lui semblaient une nécessité pour la France : l’une qui, protégeant la femme, réprimerait la séduction ; l’autre qui, en fortifiant l’autorité paternelle, modifierait notre régime successoral. Combien de projets législatifs ont été déposés, depuis le jour déjà lointain où l’auteur de la Réforme sociale dénonçait, non sans âpreté, les abus provoqués par notre loi civile ! Il fallait un certain courage, il y a cinquante ans, pour critiquer le code de 1804 ; les légistes le commentaient avec admiration, et bien hardi eût été l’homme de loi qui aurait attaqué le Gode civil. Le Play porta la hache dans les taillis législatifs ; nombre d’écrivains suivirent, et l’entraînement fut tel que récemment, à l’occasion du centenaire du code, la révision du droit des personnes, du régime des biens et des contrats apparut à tous comme une nécessité.

Le lecteur se demandera peut-être en quoi la femme française a besoin d’une protection spéciale. Un seul article du Code civil est cause de tout le mal : « La recherche de la paternité est interdite[1]. » La France est un des rares pays où figure une telle prohibition. « Qui fait l’enfant le doit nourir, » disait notre vieux juriste Loysel. Notre ancien droit était sévère : dans certaines provinces, le séducteur était contraint de réaliser ses promesses de mariage ; dans d’autres régions, il était tenu d’indemniser celle qu’il avait trompée. Il paraît que les rédacteurs du code ont craint les scandales, mais ils ne les ont pas évités, comme le témoignent nos cours d’assises où la vengeance de la femme séduite, l’abandon des enfans, l’infanticide, l’avortement sont autant de commentaires criminels de l’article 340. Le Play en demandait donc l’abrogation, mais s’il voulait une loi protectrice de la femme, il entendait que l’application fût soumise à des garanties qui empêcheraient la calomnie et le chantage[2].

Une loi qui lui tenait à cœur, est celle qui modifierait la dévolution de l’héritage. C’est un sujet d’étonnement pour l’étranger que ce système bizarre, qui n’est conforme ni à nos traditions nationales ni aux besoins du temps présent. Qu’on en

  1. L’article 340 est ainsi libellé : « La recherche de la paternité est interdite. Dans le cas d’enlèvement, lorsque l’époque de cet enlèvement se rapportera à celle de la conception, le ravisseur pourra être, sur la demande des parties intéressées, déclaré père de l’enfant. »
  2. Voyez La Réforme sociale en France, liv. III, ch. 26 ; l’Organisation du travail, ch. V, § 47.