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deux premières périodes a eu son couronnement dans un drame symbolique où l’on dirait que M. Galdós a voulu résumer et concentrer sa pensée. Dans les Condamnés (11 décembre 1894), nous trouvons la meilleure conclusion des thèses présentées par Réalité (15 mars 1892), la Folle de la maison (16 janvier 1893), et la Duchesse de Saint-Quentin (27 janvier 1894). Et de même, Ame et Vie (9 avril 1902) est le point d’aboutissement, naturel de ces études de psychologie ou de sociologie nationales qui s’appellent Volonté (20 décembre 1895), Doña Perfecta (28 janvier 1896), la Bête féroce (23 décembre 1896), et Electra (30 janvier 1901). Avec Mariucha (16 juillet 1903), et surtout avec le Grand-Père, qui fut à Madrid le grand succès de l’hiver 1904-1905, il semble que M. Galdós s’efforce de fondre ses deux manières en un drame qui reprenne la largeur philosophique de la première et garde la couleur espagnole de la seconde, mais en se dépouillant de l’apparence même d’une intention de polémique. Ses deux dernières pièces, Bárbara (28 mars 1905), et Amour et Science (7 novembre 1905), manifestent mieux encore l’indépendance de sa pensée.

La transition entre l’œuvre romanesque et l’œuvre dramatique de M. Galdós s’est faite assez naturellement avec Réalité. La pièce en cinq actes avait été d’abord un roman en cinq « journées » où, sauf quelques indications scéniques, l’auteur s’effaçait complètement pour laisser parler ses personnages[1]. L’intrigue est plus sobre dans la seconde forme de l’œuvre, mais elle s’attarde encore en des épisodes dont on peut la dépouiller sans trop de scrupule. Orozco est un homme riche et charitable qui cherche dans l’absolue maîtrise de son âme le moyen d’arriver au calme philosophique, qu’il confond avec la vertu. Sa femme Augusta l’aime et l’admire, mais ne le comprend pas. Sa vivacité s’étonne de cette tranquillité réfléchie ; le spectacle quotidien d’une froide sérénité lui fait mieux sentir l’attrait de l’irrégulier et du mystérieux. Elle s’est donc laissé séduire par un gentilhomme débauché. Federico Viera, traqué par ses créanciers, a trop d’honneur pour accepter d’elle le moindre secours, mais ce même honneur ne lui interdit point d’emprunter de l’argent à une femme galante avec laquelle il n’a plus que de bizarres relations d’amitié. Poursuivi par le remords de trahir

  1. Faut-il rappeler que la « journée » est l’acte des comedias de l’âge d’or ?