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un homme qui s’obstine à vouloir le couvrir de bienfaits, il se réfugie dans le suicide. Orozco découvre, sans qu’elle le sache, le secret de sa femme, et il est prêt à lui pardonner si elle lave sa faute dans l’aveu. Mais Augusta est une femme et non point une sainte ; elle garde le silence, et, tandis qu’elle s’éloigne, son mari étouffe en lui le dernier cri des misérables rancœurs humaines pour se dresser solitaire dans l’impassibilité de sa grandeur morale.

Ce dénouement est au moins étrange pour un drame qui s’appelle Réalité. Il n’éclaire que d’une lueur indécise et flottante une action où l’on ne sait s’il faut s’intéresser surtout à l’amour d’Augusta, ou aux remords de Federico, ou à l’attitude philosophique d’Orozco. Pourquoi donc ce titre sonore ? L’auteur veut-il nous faire entendre que la réalité est une grande artiste, bien plus féconde et originale que les plus romanesques imaginations ? Je le crois, et je crois aussi qu’il a voulu réagir contre les excès du néo-romantisme mis à la mode par M. José Echegaray. Il n’y a d’ailleurs qu’imparfaitement réussi. Les hallucinations de Federico et, au dernier tableau, l’apparition de son ombre ne sont sans doute que la figuration matérielle d’un phénomène subjectif. Il n’en est pas moins vrai que cela ne paraît pas moins factice que les accessoires ordinaires du magasin romantique. Réalité n’est encore ni tout à fait un drame, ni surtout un drame réaliste. L’abondance des détails, le nombre des figures et des scènes secondaires, la longueur des explications analytiques le rapprochent trop du roman. Mais la souplesse du dialogue, la force avec laquelle sont présentés plus d’une situation et plus d’un sentiment laissent deviner l’éveil d’un véritable tempérament dramatique.

La Folle de la maison, Victoria, la fille aînée du marquis de Moncado, peut passer pour une épreuve corrigée et embellie de l’Augusta de Réalité. Elle aussi ne se contente pas d’une existence ordinaire et du banal effort d’une conduite correcte. Elle se sent attirée par le mal, mais avec l’espoir orgueilleux de le vaincre et d’en faire jaillir le bien. Dans un brusque élan de son ardente nature, elle a rompu ses fiançailles avec Daniel de Malavella pour entrer dans une congrégation religieuse où elle fait son noviciat. Mais, au moment où elle va mourir au monde, l’occasion se présente pour elle d’un dévouement d’autant plus héroïque qu’il exige d’elle non pas un simple renoncement, mais une véritable immolation. Pour sauver son père de la ruine où