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qui fut coupable avec la mère, veut diriger la fille vers le couvent de la Pénitence dont il rêve de la voir un jour la supérieure. Le mariage d’Electra avec Máximo va traverser ce dessein qu’il croit inspiré par le ciel. Il apprend alors à la jeune fille que son fiancé est peut-être son frère. Folle de désespoir et d’horreur, Electra se réfugie au couvent de la Pénitence, et il ne faut rien moins, pour la rendre à Máximo et à la vie du monde, qu’une apparition de l’ombre de sa mère. Je n’ai pas besoin de faire remarquer l’invraisemblance de ce dénouement d’une action qui se passe à Madrid et qui se dit « rigoureusement contemporaine. » M. Galdós a-t-il voulu reprendre un procédé shakspearien ? S’est-il cru le droit de représenter matériellement quelque croyance spirite ? Toujours est-il que, malgré les hallucinations antérieures qu’il fait raconter par son héroïne, il est impossible que le spectacle de la dernière ne nous choque pas étrangement. Je crois, au contraire, que le personnage de Pantoja est à la fois moins choquant et moins invraisemblable qu’il n’a paru l’être. Ce n’est ni un Tartuffe, ni un Jésuite, puisqu’il est sincère et puisqu’il n’obéit à la règle d’aucun ordre. Il montre seulement les dangers d’une énergie morale exaltée par un mysticisme fanatique. L’homme qui, aux prises avec la colère brutale de Máximo, garde la sérénité d’une foi plus haute que la passion, et d’une volonté plus forte que la force, n’est point l’être odieux et vulgaire que se représentaient les spectateurs de la Porte-Saint-Martin. Son mensonge même, qui nous fait horreur, ne peut-il pas lui paraître aussi beau que le faux serment de Paternoy dans les Condamnés ? Devait-il hésiter, quand il croyait sauver une âme ? Qu’après cela, M. Galdós ait laissé percer dans sa pièce ses sympathies pour la science et pour un sentiment religieux non pas plus loin de Dieu, mais plus près de l’homme, c’était peut-être son droit. Il n’avait rien fait en tout cas pour justifier le titre que certain journal espagnol donnait au compte rendu de la première représentation d’Electra : « Le crime de cette nuit. » L’ombre d’Eleuteria qui, venant de l’au-delà, doit sans doute exprimer la vérité suprême, recommande à sa fille de ne pas maudire celui qui l’a contrainte à une réclusion passagère : « Dieu, dit-elle, est partout… Je n’ai pas su le rencontrer hors du cloître ; cherche-le dans le monde sur des sentiers meilleurs que les miens. » Où voit-on là que M. Galdós enseigne à détruire les couvens et à recommencer le massacre des moines ?