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qu’il pourrait reprendre le mot sérieusement à son compte ; et cette impression est de celles qui ne trompent pas. On usera librement, dans les pages qui vont suivre, du droit que M. Emile Faguet reconnaît avec tant de bonne grâce à tout esprit sincère de discuter loyalement ses idées.

L’avouerai-je ? Le plus grave défaut peut-être de ce livre sur l’Anticléricalisme, c’est d’être en réalité… un second volume, — un second volume écrit et publié avant le premier. Je me hâte d’expliquer cette bizarre formule. L’anticléricalisme n’est pas ce que l’on pourrait appeler un état d’esprit primitif ; c’est, — le mot même en témoigne, — une doctrine de combat, une doctrine de réaction. L’anticléricalisme suppose nécessairement une religion ou, à tout le moins, une certaine conception de la religion contre laquelle il s’insurge et qu’il voudrait ruiner à tout prix. Imaginez un pays complètement irréligieux, ou, pour mieux dire, entièrement areligieux, un pays tout entier livré à l’indifférence religieuse : l’anticléricalisme n’aurait pas même l’ombre d’un prétexte pour y naître et s’y développer. Il s’ensuit que, pour bien connaître l’anticléricalisme dans sa vraie nature, dans ses causes, dans la diversité de ses attitudes et de ses manœuvres, ce qu’il faut étudier tout d’abord, et de très près, c’est la doctrine religieuse que l’anticléricalisme, — de son vrai nom, l’anticatholicisme, — veut anéantir et remplacer, à savoir, le catholicisme. L’anticléricalisme n’existe, pour ainsi dire, qu’en fonction du catholicisme : il en est la vivante contradiction et, le plus souvent, la grossière et haineuse caricature. Il y a lieu de posséder à fond l’original, quand on veut connaître la copie. Et voilà pourquoi j’aurais souhaité que le livre de M. Faguet sur l’Anticléricalisme fût précédé d’un autre, — qu’il nous doit, et qu’il nous donnera, j’espère, — sur le Catholicisme.

Son étude, si je ne me trompe, y eût gagné en ampleur, en précision et en vérité tout ensemble. L’idée maîtresse de son livre, idée qu’il développe d’ailleurs dans un premier chapitre, sur l’Irréligion nationale, avec une ingéniosité spirituelle, un entrain de style, une verve persuasive qui font le plus grand honneur à son talent d’écrivain, c’est que le Français est par nature foncièrement irréligieux. « Le fond de la race française, écrit-il, la généralité des Français me semble toujours avoir été peu capable d’embrasser et d’entretenir l’esprit religieux et le sentiment religieux… Nietzsche a dit, dans la même phrase, je