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transparens voiles blancs sous lesquels s’atténuaient les étoiles colorées. Elle révèle toute l’intensité des verts qui ruissellent comme des nappes d’émeraudes, des verts rayonnans et d’autres profonds comme ceux de nos molles prairies. Il en est de chauds comme des flammes ; et il y a des verts fins, légers, presque spirituels comme la dernière lueur d’un ciel de couchant. Elle illumine d’un éclat extraordinaire les myriades et myriades d’yeux graves qui absorbent et se renvoient toute l’éblouissante clarté de ce matin triomphal. Les yeux des femmes dardent leurs feux solitaires sur l’uniforme et mate blancheur des haïks et les yeux des enfans ont l’éclair rapide d’un miroir qu’un rayon brûlant a frappé. Tout ce qu’il y a d’éclat dans cette fête se renouvelle et se multiplie dans les jeunes et rieuses prunelles.

Et lorsqu’une dernière fois sous le rouge disque flamboyant, dans l’étincellement des sabres qui saluent, la jeune figure souveraine passe et regarde son peuple, les myriades de têtes s’inclinent comme chez nous au passage de la procession. Un instant de silence religieux plane, mais les femmes lancent aussitôt leurs « you you » pareils aux appels juhilans d’oiseaux perdus dans les cieux. Toutes les voix alors d’une seule clameur proclament l’obéissance. En une seule masse, comme une sombre vague d’orage qui croule, le flot noir des lévites juives s’est aussi prosterné et les voix d’Israël mêlées à celles du peuple blanc psalmodient aussi le répons : « Sidna, Sidna, tu es le maître et nous sommes tes enfans. » Ils le répètent comme en une litanie d’église, et cet hommage direct, religieux, annuellement répété, du peuple qui s’offre lui-même rejoint encore par ce qu’il exprime d’éternel le plus antique passé. Dans l’impassibilité même du jeune souverain il y a comme une obéissance au rite tel que ses pères de tous les âges l’ont accompli, et dont lui-même est le sujet, au rite absolu que lui impose la volonté des siècles. Au centre de son cortège, derrière l’étendard du Prophète lourd des mystérieux signes d’or, dans sa majesté muette et douce, ombrée du disque flamboyant, il est aussi soumis que l’humble sujet qui se prosterne. Et le chef, qui a reçu l’hommage, est l’exact et obéissant serviteur de la loi coin me ceux qui l’ont rendu.

On parle du moins ici d’une vision, d’une apparence, d’un instant. Ce n’est pas que cette apparence réponde à des réalités permanentes, et pourtant si elle est trompeuse elle n’est pas