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fleurs d’or, les broderies à ramages déploient leurs étalages peu séduisans. Et moi je n’aime ici que cette monochromie statuaire et calme du blanc. Fuyons les bariolages, les cuivres grossiers, les bijouteries de négresses et le cauchemar jaune des babouches. Passons chez les tisserands, dans la grande cour où les métiers sont tendus pour les enfans qui jettent gaiement la navette, emmêlent les laines blanches, les fines ou les rugueuses. C’est ici à palper les tissus, à peser du regard les valeurs mystérieuses du blanc, qu’on sent combien chacune est expressive et juste. Haïks frangés de soie, longs à enrouler cinq fois le corps et légers à passer dans un anneau, les voici nuageux, transparens qui se tissent à la main pour les seigneurs du Maghzen, pièce à pièce, dans la forme même qu’ils garderont.

Une blancheur suave et souple aux épaules, impénétrable au soleil dévorant, assez fine pour laisser deviner le ton vif du caftan, quelle recherche plus délicate d’élégance ? Et voici les burnous rugueux, épais, qui ont vraiment le grain de la pierre et qui tombent sur les bergers en plis si lourds. Le marbre fin, poli, l’albâtre translucide, le granit pesant, qui semblent couvrir pour l’éternité un peuple de statues, c’est donc ici, sous des doigts humains qu’ils se créent ! Les blancheurs emplissent la cour de clarté, une clarté douce et sérieuse comme celle du lin dans l’ombre des églises. Les jeunes tisserands sont blancs eux-mêmes comme des néophytes. Joyeux, ils se lancent la navette. Pour la première fois, j’entends des rires. Dans la même cour, des femmes de la campagne, serrées ensemble sous un petit auvent, ont la permission de vendre leurs denrées, un peu d’huile, des olives. On les entend bavarder, disputer, sous leurs voiles, on devine la gaîté des lèvres invisibles et cela étonne comme ferait la vue de nonnes dissipées en rupture du vœu de silence. Toutes cachées, toutes blanches, ne laissant voir que leurs longs yeux noirs sous le petit toit qu’elles ne doivent jamais, déborder, elles ressemblent à des tourterelles dans une volière. Notons la vision jeune et claire, elle est rare et nous ne la reverrons pas. Les ruelles se font plus étroites, l’ombre plus dense, un froid saisit. Nous sommes entrés dans la coquille et nous allons vers le fond. Comment, rendre avec des mots cette impression de noirceur et de vétusté, ce vertige triste qui saisissent l’âme à mesure qu’on s’enfonce dans ces trouées obscures où l’on entend bruire de la vie invisible ? Les murs où l’humidité suinte en traînées