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fait triompher le vice et l’impudence ; vous avez appris à tous vos sujets à ne rougir plus de ce qui est honteux, leçon funeste et qu’ils n’oublieront jamais[1]. »

Certes le pauvre Duc de Bourgogne si pieux, si scrupuleux, si conjugal, n’avait rien fait de tout cela ; il n’avait point donné, comme Fénelon semble le lui reprocher, de « mortels exemples. » Rien ne s’adressait en réalité à lui dans ces reproches anticipés, sauf peut-être celui-ci : « Expédier des dépêches, dans un cabinet où l’on se renferme sans cesse, c’est dérober son plus précieux temps à l’Etat. N’avez-vous point négligé de connoître les hommes par paresse d’esprit, par une humeur qui vous rend particulier, par une hauteur qui vous éloigne de la société, par des détails qui ne sont que vétilles en comparaison de cette étude des hommes, enfin par des amusemens dans votre cabinet sous prétexte de travail secret[2] ? »

Ce long morceau de Fénelon, écrit évidemment dans une période d’irritation, paraît avoir eu surtout pour but d’ouvrir les yeux du petit-fils sur les fautes et les torts du grand-père. Aussi, quoi qu’en dise l’auteur de l’Histoire littéraire de Fénelon[3], on aimerait à croire que le Duc de Bourgogne n’en faisait pas sa lecture assidue, et que Beauvilliers en demeurait l’habituel dépositaire.

Telles étaient les relations indirectes, un peu mystérieuses et en tout cas mal connues de l’ancien précepteur et de l’ancien élève, lorsque éclata le coup de foudre qui d’un côté réduisait à néant la cabale et, de l’autre, exaltait le petit troupeau. On ne saurait s’attendre à trouver dans la correspondance même de Fénelon la libre expression des sentimens que la nouvelle de la mort de Monseigneur put lui inspirer. Dans la lettre qu’il écrivit aussitôt après, et qui était destinée à passer sous les yeux du Duc de Bourgogne[4], il tient le langage un peu conventionnel du prêtre : « Dieu vient de frapper un grand coup, mais sa main est souvent miséricordieuse, même dans les coups les plus rigoureux. La mort est une grâce en ce qu’elle est la fin de toutes les tentations. Elle épargne la plus redoutable tentation d’ici-bas

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 85, 86, 87.
  2. Ibid., p. 95 et 96.
  3. Ibid., t. I, p. 145.
  4. Ibid., t. VII, p. 341. On ne sait pas exactement à qui cette lettre est adressée, si c’est au duc de Beauvilliers ou, ce qui paraît plus probable, au Père Martineau, le confesseur du Duc de Bourgogne.