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de la créature. Le seul Michel-Ange pouvait être l’impérieux artisan de leur rencontre et de leur réconciliation. Michel-Ange seul était digne d’offrir ou plutôt de rendre à Dieu le corps si corn plaisamment façonné par Dieu même, et de replacer l’homme, nu et beau comme au jour de sa naissance, sous le regard et la bénédiction du Seigneur.

Ce corps assurément, ou plutôt ces corps innombrables, ne sont jamais que les interprètes, les témoins de l’esprit et de l’âme ; parfois même les martyrs, tant ils trahissent de souffrance. Michel-Ange les garde de toute sensualité ; il les purifie à force de pensée, quand ce n’est pas à force de douleur. L’une et l’autre, — car on dirait qu’il souffre avant que de vivre, et qu’il subit plutôt qu’il ne reçoit l’existence, — l’une et l’autre composent la profonde et tragique beauté de la figure d’Adam, et de cette figure entière. Mais, tout de même, aucun ensemble, aucun cycle de peinture, surtout de peinture religieuse, n’avait encore fait à la forme corporelle une aussi grande, une aussi énorme place. C’est le corps, dont l’ordre visible consacre ici le triomphe et l’apothéose.

Un principe contraire y régit l’ordre sonore. S’il est certain que la musique, au fond et dans son essence, n’emprunte rien au corps humain, il ne serait pourtant pas impossible de concevoir entre l’une et l’autre, et selon le genre où le style de la musique elle-même, des affinités secrètes ou de mystérieuses répugnances. On pourrait, croyons-nous, admettre ceci : les formes sonores sont plus ou moins comparables (toujours de loin et vaguement) avec les formes physiques et corporelles, selon qu’elles possèdent un caractère plus ou moins arrêté, concret et plastique ; autrement dit, et pour citer des noms, selon que ces formes constituent la musique des Gluck et des Mozart ou celle des Roland de Lassus ou des Palestrina ; en d’autres termes encore et, cette fois, pour opposer deux élémens spécifiques de l’art, suivant que la mélodie ou l’harmonie a le plus de part dans leur nature et dans leur beauté.

Par les lignes et les contours, par le profil et le relief, par l’ordonnance et la symétrie de ses membres, la mélodie est, de toutes les créatures sonores, la plus capable de ressembler à la créature humaine ; une canzone aura, plutôt qu’un accord, non seulement une voix, mais presque un visage, un corps même comme nous. Et ce corps peut manifester, traduire l’âme ; il