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peut aussi la trahir, ou l’oublier. Vous entendez bien que toute mélodie n’est pas sensuelle ou voluptueuse ; mais le sensualisme ou la volupté de la musique consiste et se communique surtout dans la mélodie et par elle. C’est une œuvre toute mélodique, et celle-là seulement (l’Italienne à Alger, de Rossini) que Stendhal pouvait définir et vanter en ces termes : « La -musique la plus physique que je connaisse. » On dirait cela peut-être, — avec force corrections et restrictions, — d’un air de Mozart. Mais allez donc le dire, même ainsi, d’un motet de Palestrina !

Pourquoi, sinon parce que l’harmonie, ou la polyphonie, enferme en soi je ne sais quel principe secret de spiritualité. Dans une certaine mesure, l’histoire de la musique en témoignerait. Epris de la forme humaine, les Grecs n’avaient guère connu que la mélodie. Quand vint, au début du XVIIe siècle, la Renaissance musicale, postérieure de plus de cent ans à celle des autres arts, mais animée du même esprit, elle ne consista que dans une réaction, contre la polyphonie du moyen âge, de la monodie retrouvée.

Celle-ci l’avait depuis longtemps emporté, que l’autre gardait quelques droits sur les choses graves et saintes. Les maîtres lui conservaient une place d’honneur dans les sujets religieux. Les fugues gigantesques, — et surtout vocales, — de Haendel et de Bach en leurs oratorios, rappellent encore une des formes les plus pures et les plus immatérielles qu’aient jamais pu prendre ou recevoir les sons.

Dans la chapelle Sixtine, ils n’en eurent point d’autre. Ici la musique, deux fois idéale, ne se contenta pas d’être seulement harmonie : elle ne fut qu’harmonie de voix. Le premier de ces deux caractères l’éloigna de toute apparence corporelle ; le second l’affranchit de tout rapport et du moindre contact avec la matière. Elle ment, la délicieuse figurine de bronze qu’on voit à Saint-Pierre, dans la chapelle du Saint-Sacrement, sculptée par Pollajuolo sur le tombeau du pape Sixte IV. A demi nue et les cheveux dénoués, comme ses charmantes sœurs la Grammaire et la Théologie elle-même, elle joue d’un petit orgue de chœur que souffle un ange. Autour d’elle, violes et trompettes, flûtes et tambourins gisent épars. Mais ce n’est pas elle que le pontife aima. Jamais elle ne fut l’hôtesse du sanctuaire où nous sommes, où nul instrument, pas même l’orgue, n’accompagna jamais les chants. Un Italien du XVIIe siècle, Uberti, s’est demandé, le