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un arriviste. Il est de ceux qui, entre les soins de propreté morale et le souci de leurs intérêts, n’hésitent pas. C’est l’ambitieux sans scrupules, comme on eût dit jadis, et comme on n’ose plus dire maintenant, les calculs du politicien d’aujourd’hui étant devenus si mesquins que le terme d’ambition leur ferait trop d’honneur.

J’en passe ; mais ce qui est remarquable c’est que le mobile auquel obéit le principal personnage de la pièce, Christiane, est très différent de la vulgaire « manie de paraître. » Pour contenter cette manie, il lui aurait suffi de se faire entretenir par son amant, et de mener un train de vie fort supérieur à la situation de son mari ; ce mari, Paul Margès, aurait fait comme tant d’autres qui n’y voient que du feu. Or Christiane a conçu le projet hardi de devenir la femme de son beau-frère, le richissime Jean Reitzell. Il y faudra un double divorce ; ce qui, au point de vue de l’effet à produire et des apparences, ne laissera pas d’être fâcheux. Le goût de paraître ne va pas sans un besoin de considération qui s’accorde mal avec le scandale de ce double divorce et de ce remariage en famille. En fait, ce que Christiane poursuit, c’est bel et bien la réalité de cette grande fortune dont le mirage l’affole. Elle a tout uniment la passion de l’argent. La vérité est que M. Donnay ne s’est soucié de mettre aucune précision dans son analyse ; il a pris quelques originaux de son temps qu’il trouve divertissans ; il les a groupés sous une vague dénomination et il n’a pas attaché plus d’importance qu’il ne faut au titre d’une pièce.

Toutefois, il s’est bien douté que ces personnages pourraient nous paraître d’une psychologie un peu incertaine ; aussi a-t-il confié le soin de nous les présenter à un acteur spécialement chargé de cette fonction. Car il y a, dans Paraître ! un raisonneur, et il ne risque pas d’y passer inaperçu, tant il y tient de place et s’étale avec complaisance et satisfaction ! Nous le croyions définitivement condamné, et mort sous les sarcasmes, ce personnage du raisonneur : les jeunes maîtres de notre théâtre ont pris à tâche de le ressusciter. Le raisonneur est ici un certain Bouy, qu’on appelle le baron. Il n’est ni journaliste comme Desgenais, ni gentilhomme comme de Jalin, ni docteur comme Rémonin ; mais il est bien de la famille. Il a le premier caractère auquel on reconnaît le raisonneur : il est insupportable. Il ignore ces vérités de simple bon sens : que le contentement de soi, trop affiché, exaspère, et que le bavardage continu ennuie. Ou l’auteur a su exprimer sa pensée, et je n’ai pas besoin de ce commentaire suivi et de ces notes au bas des pages. Ou, s’il craint de ne pas s’être fait bien comprendre, comment ne voit-il pas que ces dissertations,