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est le personnage en l’honneur et autour duquel se célèbre ce carnaval ? Nous ne sommes pas forcés de savoir qui fut dans la réalité de son existence le véritable Glatigny ; nous n’avons à connaître que celui qu’on nous présente. Puisqu’on nous le donne pour un type de bohème, nous ne lui demanderons pas qu’il se comporte comme un parfait notaire ; mais même pour un héros de la Sainte Bohème, quel triste sire ! Combien ses espiègleries sont dénuées de fantaisie ! Et dans ses attendrissantes mésaventures, quelle platitude !

Donc le Glatigny de M. Mendès est le fils d’un gendarme, et réputé, dès sa prime jeunesse, pour les excès de sa polissonnerie. Il est l’amant de la dame de la poste en qui il ne sait pas au juste s’il voit davantage une maîtresse ou une mère. Vient à passer une comédienne, Lizane, dont il s’éprend aussitôt ; il paie donc avec l’argent de sa vieille maîtresse les dettes menues de la troupe comique dont il va suivre l’indigente fortune. Le voici à Paris, où il entre, sans savoir comment, chez M. de Girardin. Il tient la plume pour le fameux journaliste. Et comme il est irrémédiablement poète, il écrit en vers l’article que Girardin lui dicte en prose, et que celui-ci imprime tel quel dans son journal, sans s’en apercevoir. Comment Glatigny reçoit de la princesse d’Elfe une rose qu’il pourra, dans une heure de détresse, échanger contre un riche carnet orné de bijoux ? ce n’est pas moi qui me chargerai de vous l’expliquer. Il est toujours acoquiné à la vague théâtreuse Lizane ; celle-ci le présente dans des brasseries littéraires où elle subit patiemment des discussions d’esthétique qui l’assomment, mais qui lui donnent tout de même l’impression d’être dans un milieu distingué et pas bourgeois. Cette Lizane figurant dans un café-concert, Glatigny s’y engage pareillement. Il va sans dire que Lizane le trompe pour un camarade de planches, avec qui elle finit par se sauver. Glatigny, après un accès de désespoir tragique, s’en retourne mourir de phtisie chez sa buraliste de village… Sur ces inventions baroques, M. Mendès a fait courir les arabesques d’un style à la fois banal et précieux qui effare par une prolixité désormais incoercible.

On perd d’ailleurs une bonne partie des vers dans l’espèce de bredouillement des artistes de l’Odéon. C’est un supplice.


RENE DOUMIC.