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diverses façons de ronfler de ses compagnons de patache. Et quand Thackeray conseille à Victor Hugo d’être plus attentif à la qualité de ses plaisanteries, quand il lui dit que celles-ci sont, « pour la plupart, bien vieilles, et bien faibles, et bien épointées, » nous sommes d’autant plus prêts à le dire avec lui que ces reproches ne l’empêchent pas, à la page suivante, de louer tel paysage, tel « effet » de tempête ou de clair de lune, qui sont, aujourd’hui, à peu près tout ce qui a survécu du livre, plus qu’à demi mort, de Victor Hugo.

Quant à l’allure inspirée, vaticinante, de ce livre, Thackeray la tient pour le résultat d’une véritable épidémie de « prophétisme » qui, à l’heure où il écrit, est en train de sévir dans la littérature française. « A tout propos, M. Victor Hugo invoque la Providence, et se montre intimement au courant de ses desseins les plus mystérieux. Il nous parle du ciel familièrement et sur un pied d’égalité, comme une grande puissance parlerait d’une autre. Mais c’est là un privilège où sont admis, à présent, presque tous les auteurs français : le nom de Dieu est toujours sur leurs lèvres, dans les circonstances de la vie les plus basses et les plus banales. La plupart d’entre eux ont, expressément, une mission divine. Lamartine a eu des révélations de choses célestes, et a vu le trône de Dieu à travers ses larmes. Mme Dudevant nous laisse entendre qu’elle est une martyre (et peut-être aussi une sainte, ou plus encore). Leroux et Lamennais s’avancent, l’un et l’autre, avec des révélations et des prophéties qu’ils nous somment de mettre à la place des vieux évangiles ; et il n’y a pas jusqu’à un Dumas qui, en préface à quelque vilaine histoire de luxure et de sang, n’insinue que cette histoire contient un mystère sacré, et que Dieu lui a donné mission de nous l’expliquer. »


Je pourrais signaler encore, dans les articles exhumés par M. Garnett, bien d’autres preuves de l’étude assidue qu’a faite Thackeray des lettres et de la société française de son temps. Cet Anglais connaît la France autant que peut la connaître un étranger, quand il ne renonce point, pour elle, à sa propre patrie. Il la connaît, il s’efforce d’en saisir les aspects les plus divers ; et, en même temps, il la hait, d’une haine continue, profonde, violente, féroce, d’une haine qu’il essaie vainement de prendre, et de nous faire prendre pour du mépris, tandis qu’à toute occasion elle jaillit toute pure, du fond de son cœur, sans le moindre mélange d’un autre sentiment ; d’une haine qui, elle aussi, l’apparente directement aux Hogarth, aux Fielding, et aux Rowlandson, aux grands satiristes anglais du XVIIIe siècle. Qu’il ait à parler de