Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et par la loi, les biens de cette classe, et moyennant laquelle les propriétaires, recevant quittance pour toutes leurs fantaisies gaspilleuses, pouvaient envisager un long avenir de folles jouissances ; elle créait un précédent qui, s’il s’était généralisé, aurait bouleversé la haute société de l’Empire en modifiant le statut même des fortunes. Quatre ans après, Alaric menacera Rome, précurseur d’autres bouleversemens ; alors, déférant à l’antipathie personnelle de Galla Placidia, et cédant aussi à cette fureur de soupçons qui précède les catastrophes comme le nuage précède l’ouragan, le Sénat romain fera comparaître Serena, veuve de Stilicon, et, pour grief de trahison, la condamnera à être étranglée. Les bourreaux de l’année 408 prétendront punir Serena pour les périls que courra la patrie ; il est permis de croire que plusieurs d’entre eux poursuivront surtout une vengeance personnelle, et qu’ils feront payer à l’accusée, froidement, « au nom du peuple romain, » cette façon de coup d’État par laquelle elle avait alarmé et appauvri leur caste. Mais le bon moine Gerontius, qui, selon toute apparence, s’occupait peu de politique, ne fait aucune allusion, dans son récit, aux destinées futures de l’infortunée Serena. Le récit de l’audience, tel qu’il l’achève, est égayé de pittoresque et rayonnant de sourire.


Alors la très sainte, devant la grande bonté de Serena et d’Honorius, étala avec humilité les parures qu’elle avait apportées : « Voici, madame, nous offrons cette bénédiction : que votre piété l’agrée, comme le Christ agréa les deux deniers de la veuve. » Serena se mit à rire et dit avec suavité : « Que votre sainteté me croie ; ce que je vais dire, je le crois en mon cœur, devant le Christ : quiconque reçoit quelque chose de vos biens, sauf les pauvres et les saints auxquels vous les avez promis, commet vol et fraude aux dépens de l’autel ; il amasse pour lui-même le combustible du feu éternel !... » Alors la reine invite ses eunuques à sortir du palais avec Mélanie et Pinianus, et à les ramener jusqu’à leur maison d’habitation ; au nom du salut de l’empereur son frère, elle défend solennellement qu’aucun d’entre eux, ni aucun autre eunuque, ni personne du palais, accepte aucun cadeau, lors même que Pinianus et Mélanie les y convieraient : pas d’or, pas d’étoffe, ni quoi que ce soit d’autre, pas même la moindre pièce de monnaie : « Si je venais à l’apprendre, dit la reine, gare au châtiment ! »


Menace superflue, s’il en faut croire Gerontius : à l’entendre, ce fut la « crainte de Dieu, » qui fit renoncer les eunuques à toute manda ; « à cause du Christ, ils faisaient escorte à ces bienheureux,