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de la souveraine, ouvrit la première porte. Afin d’ouvrir la seconde, il fallait les trois clefs : la reine avait la sienne ; M. Jeannin, conseiller général des finances, et M. Phélippeaux, trésorier de l’Épargne, qui avaient les deux autres et se trouvaient présents, furent invités à livrer les leurs : ils refusèrent. Des édits, déclarèrent-ils, avaient formellement réglé qu’on ne toucherait pas au trésor sans lettres patentes vérifiées en chambre des comptes ; dans le cas présent, cette condition n’était pas remplie ; s’ils se prêtaient au détournement de fonds, la chambre les rendrait personnellement responsables des sommes enlevées ; ils suppliaient donc la reine de tâcher d’obtenir la vérification nécessaire en envoyant une cinquième lettre de jussion. Marie de Médicis répliqua que sa présence, son ordre formel articulé devant des témoins nombreux et les plus qualifiés du royaume, comportaient à leur égard, décharge entière de toute responsabilité ; elle leur intima le commandement d’avoir à remettre leurs clefs au capitaine des gardes, M. de Tresmes. Les deux fonctionnaires des finances, s’inclinant comme devant un cas de force majeure qui les dégageait, s’exécutèrent, M. de Tresmes ouvrit la porte. On entra dans la chambre. Devant la reine on retira de 41 caques cotées P. H., V. B., P. L., 1 200 sacs qui contenaient chacun mille livres en quarts d’écu, — ou pièces de 18 sols : — la souveraine prescrivit de porter ces sacs chez M. Phélippeaux ; puis on referma les portes ; on rendit les clefs et on dressa un circonstancié procès-verbal qui fut revêtu des signatures des plus illustres témoins.

Un mois après, le 14 août, Marie de Médicis achevait d’enlever tout ce qui restait au trésor, 1 300 000 livres avec les mêmes formalités autoritaires : cette fois, sans scrupule, la reine ne cherchait même pas à faire vérifier un édit en chambre des comptes ; elle procédait à l’opération en deux jours, sur simple arrêt du conseil, prétextant d’abord (qu’elle n’avait pas le temps, — le roi partait pour Bordeaux, — et ensuite que la chambre lui avait fait précédemment trop de difficultés. Il s’agissait toujours, disait-on, de dépenses occasionnées par le mariage du roi.

S’il est relativement aisé de savoir où Marie de Médicis a pris les sommes qu’elle a dépensées, — cinq millions à la Bastille en deux ans, — il est moins facile de retrouver ce qu’elle fit de tout cet argent, ou au moins d’en suivre le détail.

D’une façon générale la régente tâcha d’acquitter l’arriéré de dettes que devait la reine sur chacun de ses budgets depuis son