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cas, nous devons craindre l’ignorance et, dans le second, c’est l’erreur que nous avons à redouter.

Au théâtre du moins, l’action et la parole sont présentes. Compagnes de la musique, elles la déterminent et nous aident à la suivre, à la comprendre. Mais ici leur aide nous manque et nous sentons bientôt quelle injustice c’est à la musique pure d’exiger de nous la même attention, la même intelligence que la musique dramatique, sans nous fournir les mêmes secours. Autour de nous, en nous, tout se confond et se brouille, notre esprit s’efforce et se lasse. Il cherche obstinément, — et vainement, — entre les thèmes et les idées, les sentimens, les personnages, des rapports qu’on lui donne comme nécessaires et que souvent, s’il réussit à se les rappeler et à les reconnaître, il trouve artificiels et convenus. Un thème d’enthousiasme nous paraît exprimer la colère. Nous prenons le Pirée pour un homme, la mère pour l’enfant et le sommeil du bébé pour la veillée du papa. Ainsi les clartés qui devaient nous illuminer, nous aveuglent ; à force de vouloir conduire notre imagination, on n’arrive qu’à l’égarer, et nous maudissons, pour la contrainte qu’elle nous impose, la symphonie, cette forme de la musique pourtant, qui, par nature et par définition, devrait être la plus respectueuse de notre liberté.

Si trop de littérature obscurcit et complique le sujet, il se peut également que trop de musique l’écrase. Pour honorer la famille, le foyer ou la maison, n’était-ce pas le cas ou jamais d’écrire de la musique de chambre ? Est-ce bien une symphonie, et celle-là surtout, qui devait s’appeler domestique ? Entre l’idée, ou l’idéal, et l’œuvre, il y a beaucoup moins conformité que disparate et disproportion. Quoi ! Trois quarts d’heure de musique, et de quelle musique ! la moins simple, la moins naturelle, surtout la moins intime du monde, pour un père, une mère et leur enfant ! Et leur enfant unique encore ! Que serait-il donc arrivé si le compositeur en avait eu vingt et un, comme Bach, et qu’il eût entrepris de nous les raconter ! Sérieusement, gardons-nous de brouiller les genres, sous prétexte de les amplifier et de les ennoblir. Ne confondons pas la rhétorique avec l’éloquence et ne prenons pas un agrandissement pour une apothéose. Fût-ce en musique, une idylle ne sera jamais une épopée ; on ne traite pas l’une dans l’esprit et le style de l’autre. Il n’est pas vrai qu’une querelle de ménage fasse autant de bruit que le choc de deux armées, que l’écroulement d’un empire ou d’un monde. C’est un excès de zèle autant qu’un manque de goût, d’employer toutes les ressources de la polyphonie moderne, tout l’effort d’un orchestre de cent vingt musiciens et tout le travail d’une fugue à deux