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qu’il exigerait lui-même, à les faire accepter par les ouvriers. À cette question, si elle lui a été faite, M. Clémenceau a eu sans doute quelque peine à répondre. Il entendait gronder autour de lui le bruit de la révolution montante. Il éprouvait de vives inquiétudes. Qu’avait-il donc appris dans son enquête improvisée qu’il n’eût pu savoir sans quitter Paris ?

Toute cette mise en scène ne pouvait tromper personne, et lui moins que personne. Ah ! qu’il en aurait ri, si ce n’était pas lui qui l’avait faite, s’il n’était pas ministre de l’Intérieur, si un autre avait imaginé ce moyen prodigieusement sommaire de découvrir enfin la vérité ! Il a l’esprit mordant et cruel : on s’en serait aperçu une fois de plus. Mais il est sur la sellette en ce moment et les rôles sont renversés. A lui l’action, à d’autres la critique. La critique a été sévère pour M. Clémenceau. On l’a trouvé hésitant, flottant, indécis, excepté en paroles bien entendu. On lui a attribué la responsabilité de la longue inertie où la force publique est restée, et d’où elle est sortie trop tard, lorsque le mal avait atteint déjà des proportions qui le rendaient plus redoutable. Puisqu’il a interrogé deux ouvriers, n’aurait-il pas pu, n’aurait-il pas dû pousser un peu plus loin son enquête ? Ces deux ouvriers lui ont montré les deux côtés de la grève mais ne lui en ont pas révélé les raisons intimes. Pour être complètement édifié, il aurait fallu interroger aussi un de ces étrangers au pays et à la mine, un de ces agens d’on ne sait qui ou d’on ne sait quoi, de la réaction, suivant les uns, de la révolution, suivant les autres, un de ces « oiseaux de proie » comme les a qualifiés M. Basly et que nous qualifions à notre tour d’oiseaux des tempêtes, puisqu’ils se montrent toujours sur les points de la mer sociale où les orages s’amoncellent et bientôt éclatent, et qu’ils y sont vraisemblablement pour quelque chose. Ce sont eux qui ont le mot du mystère. Peut-être ne l’auraient-ils pas dit à M. Clémenceau, mais il ne le leur a pas demandé.

Il a dû faire cependant quelques réflexions utiles, puisque, le lendemain des événemens que nous venons de rappeler, les instructions de l’armée ont un peu changé de caractère. Un commencement de satisfaction a été donné à la conscience publique. Il n’était que temps. Les scandales des jours précédens venaient de se renouveler à Haveluy où il y avait encore de nombreux blessés, et toujours du côté de la troupe. Enfin, le 21 avril, à Trith, une colonne de cinq mille grévistes qui se rendait de Denain à Valenciennes a rencontré une résistance sérieuse. Les grévistes, surpris, ont envoyé un parlementaire à l’officier qui commandait le détachement : ils ont appris alors, à leur stupéfaction croissante, qu’en cas de conflit, la troupe était autorisée à faire