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cercle, comme on voit, n’est pas immense ; et l’esprit humain a de quoi s’exercer en dehors de ce périmètre sacré. »

Entendons bien ce qu’il veut dire. Il ne nie point du tout que l’infaillibilité pontificale gène ou limite notre « liberté de penser, » mais il prétend qu’elle ne la gêne qu’ « en matière doctrinale ; » — et il le trouve tout naturel ! et nous sommes entièrement de son avis. Car enfin, en quoi consiste exactement la liberté de penser, et sommes-nous libres, en histoire, par exemple, de croire que César n’a pas existé ? ou le sommes-nous, en physiologie, d’admettre ou de ne pas admettre, à volonté, les générations spontanées ? Nous ne le sommes pas non plus de croire que deux et deux font cinq ou que les rayons du cercle ne sont pas tous égaux. Ce qui revient à dire qu’en tout ordre de choses la liberté de penser est contrainte, ou restreinte, ou empêchée, ou limitée, — peu importe ici le mot, — par la connaissance même que nous avons de la nature, des conditions et des lois de la chose. Il n’en est pas autrement « en matière doctrinale. » De même qu’en histoire ou en physique notre liberté de penser ne s’exerce que dans la mesure où elle commence par se soumettre aux lois présentement acquises et aux faits dûment avérés, pareillement, en matière doctrinale, nous ne sommes pas libres de penser à l’encontre du dogme consacré. Mais, si cela est clair, et pour peu qu’on y fasse attention, d’une clarté qui crève les yeux, quels sont donc ceux qui se plaignent, et que veulent-ils dire quand ils se plaignent qu’on leur « interdise de penser » ou qu’on les « oblige de croire ? » Ce sont ceux qui veulent eux-mêmes « dogmatiser ; » qui ont en matière doctrinale des opinions individuelles ; et qui, par une étrange contradiction, voudraient ranger à leur propre manière de penser, les opinions mêmes auxquelles ils reprochent de contraindre les leurs.

On comprend donc aisément que des protestans soient hostiles à ce qu’ils appellent cette « épouvantable juridiction du Pape sur les esprits. > Et, en effet, c’est de matière doctrinale, qu’il s’agit entre le Pape et eux. Ce qu’ils réclament, sous le nom de liberté, c’est précisément le droit de ne pas penser comme l’autorité catholique sur la matière de l’Incarnation ou sur le sacrement de l’Eucharistie. Le débat ne passe point les bornes du périmètre sacré. Mais les libres penseurs ! c’est-à-dire ceux qui font profession de ne pas plus croire à l’Eucharistie qu’à l’Incarnation, en quoi sont-ils et peuvent-ils se dire gênés par une opinion plutôt que par une autre, sur l’Incarnation ou sur l’Eucharistie ? A moins peut-être qu’une opinion sur l’Eucharistie n’en implique une sur les origines phéniciennes de la civilisation grecque, ou qu’il n’existe, par hasard, quelque solidarité secrète entre l’hérésie de Nestorius et la