Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’humanité de son temps, et en général de l’humanité, que Descartes ? Eh bien ! qu’il pense seul, il ne pensera jamais que par et pour l’humanité, de par le passé et pour l’avenir. Le passé, l’avenir, l’enserrent et le limitent, quoi qu’il dise... Prenez Descartes en lui-même, isolez-le de Luther, de Voltaire et de Kant, l’un qui l’inspire, l’autre qui le pratique, et le troisième qui l’arrête, le limite et le définit, Descartes n’a plus de sens. »

Mais ces vérités sont en quelque sorte dans l’air depuis Lamennais : « Grâce à Dieu, nous ne sommes plus aujourd’hui (1838) dans cette tentative audacieuse, erronée, mais utile et nécessaire alors, du rationalisme pur qui séduisit Descartes, et où il entraîna, après lui, plusieurs générations. Le rapport éternel de l’humanité à l’homme a reparu à nos yeux, et avec ce rapport est revenu aussi pour nous l’intuition du rapport des esprits les uns avec les autres, dans le développement successif de l’humanité. » Solidaires les uns des autres dans le temps et dans l’espace, une double loi s’impose à nous. Il nous revient de considérer, en premier lieu, que nos semblables nous peuvent et nous doivent aider à reconnaître ou à retrouver ce commun principe de vie, ce dogme sauveur duquel dépendent à la fois l’équilibre de nos pensées et la règle de notre activité : c’est la loi du consentement. Et il nous revient, en second lieu, de tenir compte, dans la détermination du principe de vie, des indications que nous peut fournir, ou plutôt, que nous fournit certainement la tradition.

« Nous n’avons que l’expérience pour pénétrer et nous diriger dans la vie des êtres d’une nature aussi étrangère à la nôtre que sont les astres, les plantes et les animaux. Avec nos semblables, au contraire, nous avons en commun une vie collective. Entre nous et eux le consentement devient donc à la fois une nécessité et un principe d’action. Quand donc, sortant de la relation avec la nature, nous entrons dans la relation avec les hommes, la principale règle que nous ayons pour nous diriger dans ce monde nouveau de la vie est le consentement. »

Mais le consentement lui-même est conditionné et constamment et invariablement alimenté par la tradition. « Nous naissons, nous vivons dans la foi, a dit avec raison Schelling. Le plus enragé rationaliste n’a pas d’autre fondement de crédulité, quoi qu’il fasse… Il suffit de rentrer en soi-même pour sentir ce qui se retrouve en grand dans l’humanité à toutes les époques,