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pur et vrai du catholicisme c’est la certitude du témoignage actuel, toujours vivant, de l’Église toujours actuelle, toujours vivante, se manifestant d’époque en époque par des conciles s’expliquant souverainement sur la tradition antérieure. » C’est donc en nous-mêmes qu’il faut chercher à la fois le principe et le moyen de la tradition ; elle est en nous, et notre pouvoir sur elle égale en quelque sorte son pouvoir sur nous ; notre effort pour la vivre fait toute sa vie, et ses progrès sont la mesure de cet effort même.

Si la vie de la tradition n’est rien hors de nous, l’on ne saurait, non plus, en expliquer le processus par un simple développement des « idées » de l’humanité. « Nous sommes profondément convaincu, écrit Leroux, d’une Révélation progressive dans l’humanité, laquelle ne se fait pas seulement par la raison humaine, comme l’entendent les rationalistes… Sans contredit les idées de l’intelligence humaine changent, et non seulement elles changent, mais elles se développent. Mais vouloir, comme M. Jouffroy[1], qu’il s’opère une sorte de développement abstrait des idées, indépendamment de tout changement et de tout progrès dans la nature humaine, et faire de ce développement abstrait des idées la cause du changement dans l’humanité, c’est se payer d’abstractions, et c’est ne rien expliquer. » Remarquez, en effet, que si les choses se passaient de la manière que dit Jouffroy, l’on atteindrait en très peu de temps les dernières limites de la science ; car « rien ne serait plus aisé que le perfectionnement des sciences et de la philosophie, si des méthodes et des axiomes suffisaient pour faire des découvertes. Mais écrivez les meilleurs traités sur la méthode, puis donnez cela à lire à un homme dépourvu du sentiment qui fait trouver, et voyez s’il sortira de vos méthodes quelque chose. C’était bon pour Condillac de penser ainsi, Condillac qui s’imaginait que, pour qui sait analyser, les vérités viennent s’enfiler toutes seules, les unes au bout des autres, indéfiniment, comme les grains d’un chapelet. Condillac disait une sottise ; et j’aime mieux en croire Platon et Vauvenargues. »

C’était, on le sait, le sentiment de Platon que « Dieu nous a donné deux ailes pour nous élever à lui, l’amour et la raison, » et que la vérité était faite pour l’homme, mais qu’il n’en devenait le maître qu’à la condition de l’appréhender, si on le peut dire,

  1. Réflexions sur la philosophie de l’histoire, dans Mélanges philosophiques, 1833.