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christianisme, mais nullement la vérité cachée dans le sein de ces religions. » Il admettait donc que les philosophes, dans le passé comme de nos jours, donnaient la main aux théologiens, et que les théologiens, à leur tour, faisaient de la philosophie sans le savoir. « Quel est le pédant, clamait-il, qui oserait dire que les Pères de l’Église, ces penseurs si profonds, depuis saint Paul jusqu’à saint Augustin, ne tiennent pas bien leur place dans l’histoire de la philosophie ? » Il estimait, à vrai dire, que les théologiens avaient une manière à eux de philosopher, à la fois très discrète et très décidée ; je ne sais quelle exquise pudeur les empêchait de considérer leur pensée toute nue : aussi la dissimulaient-ils naturellement sous des voiles et sous des symboles. La méthode avait des inconvéniens, et ce n’est pas à tort que la raison moderne a passé outre à ces délicatesses ; avec une brutalité dont nous lui devons savoir gré, elle a déchiré les « voiles » et mis en pièces les « symboles ; » et voici que l’auguste vérité, substantielle et provocante, est apparue à nos regards éblouis. « Ce qui précédemment a toujours été plus ou moins couvert de ténèbres se révèle clairement à nous. La philosophie comprend aujourd’hui les dieux sauveurs de l’Inde et de l’Égypte, et le Dieu sauveur de l’Occident. La philosophie embrasse donc les religions dans une tradition vraiment universelle, et se fait par là même religion. »

Mais vous insistez, et de cette religion nouvelle où toutes les religions du passé se viennent comme engouffrer et transfigurer, vous désirez connaître le Credo. Le voici.

Nous avons déjà remarqué « qu’il y a solidarité dans l’esprit humain, qu’il y a communion spirituelle entre tous les hommes ; que l’esprit individuel vit dans un milieu fermé de la raison universelle de l’espèce. » Mais ce n’est là qu’un cas particulier d’une loi qui domine toute notre activité. « N’y a-t-il, en effet, que solitude dans la vie ? N’y a-t-il que le moi, ou n’y a-t-il que des moi solitaires ? Non, il y a le semblable ; les moi sont communicables entre eux, et forment, dans le temps comme dans l’espace, des groupes vivans. » Bien plus, l’homme est en rapport avec les autres hommes sans doute, mais aussi avec le monde extérieur tout entier ; « les autres hommes et le monde, voilà ce qui, s’unissant à lui, le détermine et le révèle, ou le fait se révéler ; voilà sa vie objective, sans laquelle sa vie subjective reste latente et sans manifestation. »