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morale… Mais la morale n’est pas seulement une règle des mœurs, une loi sentie des relations sociales, c’est la société elle-même se manifestant, c’est une politique. »

Ce ne sont point là hypothèses invérifiables. « À l’origine, chez tous les peuples du monde, nous trouvons la législation si intimement unie à la religion, qu’elle semble en être uniquement un corollaire et en dépendre… Notre Occident lui-même, où, pour la première fois dans le monde, on a essayé de mettre en avant, d’une manière nette et radicale, la distinction de la loi civile et de la loi religieuse, notre Occident n’a-t-il pas emprunté, sinon toutes ses lois, du moins une grande partie de ses lois et en général l’inspiration et la consécration de ses lois, aux dogmes du christianisme ? Après l’invasion barbare, le droit canonique n’a-t-il pas été le droit prédominant en Europe ? Et lors même qu’à la Renaissance l’ancien droit romain est venu prêter son appui aux laïques contre le clergé, les prémisses posées par le christianisme n’ont-elles pas toujours prédominé dans la législation, et n’ont-elles pas servi à modifier et à diriger les applications qu’on en a faites. Partout donc, et sans aucune exception, le droit a été religieux, empreint d’une foi religieuse, dominé par une croyance supérieure aux questions mêmes du droit. »

Que le Christ, et l’Église après lui, aient conçu la morale ou la religion comme étroitement unie au droit, c’est ce qui n’est pas douteux. « Le règne du Christ est promis sur la terre : c’est ce que l’Évangile annonce de la façon la plus affirmative… Que l’Évangile n’ait pas encore pu manifester entièrement ce qu’il contient, et se réaliser, c’est ce qui est trop évident… Ceci n’est pas une objection à l’Évangile, puisque dans l’Évangile même se trouve la prédiction de l’esprit de connaissance et de science qui organisera l’Évangile et en amènera la réalisation. »

Cette question mériterait de fixer l’attention du clergé en général, et de chacun de ses membres en particulier : « Qu’est-ce que la Rédemption ? Quelle idée le chrétien doit-il se faire de ce miracle fondamental sur lequel repose tout le christianisme ? Le clergé répondra-t-il que la rédemption est la rédemption des âmes seulement, qu’il ne s’agit pas dans ce mystère du salut de nos corps, qu’il ne s’agit pas du monde temporel, mais du monde spirituel ? Le prêtre qui répondrait cela répondrait mal… D’abord il répondrait mal, à ne consulter que le bon sens. Car y a-t-il un seul phénomène humain qui ne soit à la fois matériel et spirituel ?