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Mais ce peuple d’hommes bronzés, portant chignon et dont la figure et l’allure sont celles de filles, m’observe, m’entoure. J’en suis réduit à m’éloigner. Prenez, si vous voulez, cela pour une boutade, mais Colombo serait le plus charmant des pays si l’on en supprimait les habitans. Toujours ces Cinghalais m’ont déplu, et cela pour des raisons où vous me dispenserez de m’étendre. Je viens de vous laisser entendre la cause première de cette aversion. Au contact des Européens, ils n’ont su qu’augmenter leurs vices. Des Indonésiens, dont ils sont tellement prochains qu’on les peut dire identiques, ils ont les mauvais penchans sans en posséder la réserve. Paresseux, cupides, dissolus, ils se sont faits audacieux et insolens depuis les réformes libérales. Gavroches de l’Asie, il ne leur manque que le courage pour se rendre turbulens. La faute en est à l’Européen passager et aussi à ces trafiquans qui, à chaque Exposition Universelle, amènent à Paris l’écume de cette plèbe des ports qui travaille, une fois rapatriée, à répandre parmi les Indiens la tradition de mépris pour les habitans des capitales de l’Occident... Mais à quoi bon revenir là-dessus ? Rappeler à nos contemporains que l’on gouverne les colonies par le prestige, c’est donner la preuve de l’esprit le plus rétrograde, lorsque souffle l’esprit nouveau... Laissons les Cinghalais et intéressons-nous à leur île.

J’ai échappé à cette foule en montant vivement dans une djatka, brouette suspendue sur de hautes roues et que traîne un coolie. De celui-là, le principal effort est de faire contrepoids, entre les brancards, au voyageur assis dans la chaise. Quand on dépasse les soixante-dix kilogrammes, et que le coolie est chétif, la chose ne va pas sans ennuis. Mais on arrive toujours, et la course ne se paye pas cher. Je me dirige ainsi vers le Musée de Colombo. A défaut de récoltes autour de la ville même, je verrai ce qu’on y pourrait trouver. Depuis tantôt vingt ans que je le visitai pour la dernière fois, ce petit musée a fait de sérieux progrès, Les collections de toutes sortes y abondent ; celles d’histoire naturelle sont, en général, bien rangées et déterminées dans la mesure du possible. C’est que les conservateurs suivent cette excellente méthode, que nos musées commencent aussi d’adopter, de communiquer leurs collections aux spécialistes qui veulent bien les étudier. Plus d’une fois j’ai reçu, à Paris, un envoi venant de quelque musée du fin fond de l’Inde, avec prière de déterminer les insectes qui voyageaient ainsi en quête d’un état civil. Malheureusement, le dernier conservateur du Musée