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charmé, me donne toute sa confiance. Les brahmes sont mandés.

Drapés dans des pagnes et des écharpes de fine mousseline blanche qui dégagent l’épaule droite, portant peint sur leur front le trisula çaktiste, emblème de la force reproductrice, les voici qui s’approchent. La teinte claire de leur peau contraste avec celle des Dravidiens noirs qui nous entourent. Le chef des Brahmes est charme de voir un étranger qui, loin de se moquer du Brahmanisme sectaire, lui témoigne son admiration et son amitié pour une religion dont le sens profond n’exclut point la magnificence du décor. Leurs figures molles, attentives et rusées, s’éclairent. Comment ce Français, mêlé à d’autres curieux d’Europe, ne partage-t-il pas cette gaîté méprisante et protectrice qu’affiche l’Occidental devant les cérémonies des pagodes ? Aussitôt nous glorifions de concert les Divinités pouraniques, tout d’abord : Parvati, l’épouse, la Çakti de Çiva, la belle Déesse qui chevauche une perruche. C’est elle que l’on honore plus particulièrement en cette nuit sous son nom local de Kochliamballe. Puis c’est Soubramanyé, second fils de Çiva, Ganéça où Poulléar étant l’aîné, Soubramanyé, le Mars Hindou, celui qui porte un coq sur sa bannière. Dans le Nord, Soubramanyé est plus ordinairement appelé Kartikeya ou Skanda, parfois Kandassamy. Ce sont donc bien le père, la mère et le fils qui s’avancent du fond du village dans un grand halo de lumière rouge. Çiva, Parvati, Soubramanyé, dressés sur des brancards, portés à épaules d’hommes, oscillent lentement au-dessus des têtes, chacun d’eux est abrité sous un immense parasol, écarlate et blanc. Au milieu des cris de joie, les porteurs vont et viennent, le désordre est à son comble ; les brahmes s’interpellent ; un moment on a perdu les dieux de vue ; ils s’éloignaient dans une fausse direction, par un méandre de ruelles, dans la nuit. Enfin ils reviennent sous leurs guirlandes de roses et de jasmins. On dresse Çiva sur son taureau, Parvati sur sa perruche, Soubramanyé sur son paon. Chacune de ces idoles n’a guère plus de deux pieds de haut. Elles sont de cuivre doré en plein. La déesse et les dieux debout sur leur socle, sous une double arcature festonnée, ajourée, dentelée, Soubramanyé flanqué de deux petites figures de femmes. Je salue ses deux épouses, Vélyamminn et Déivaneh, filles de Vishnou, vêtues chacune d’une longue robe en velours noir qui va du menton aux pieds. Telles ces madones hispano-napolitaines que l’on habillait comme des poupées pour les montres et les processions.