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français en aperçut plusieurs. Le principal, c’était qu’attendant la très prochaine arrivée d’un plénipotentiaire anglais, chargé de négocier au nom de la Grande-Bretagne, comme Ternant avait mission de le faire au nom de la France, un traité de commerce avec les États-Unis, le gouvernement américain, entre ces deux sollicitations contradictoires, entendait maintenir son entière liberté d’appréciation et d’action. En outre, quelles que fussent les sympathies que, Washington, en dépit d’un atavisme anglais chez lui très prononcé, gardait à la France, il appréhendait les secousses que la Révolution préparait à l’Europe et au monde ; il se demandait si ce n’était pas du côté de l’Angleterre que son pays obtiendrait les plus grands avantages commerciaux et maritimes. Dans tous les cas, il lui semblait qu’il y aurait un utile parti à tirer de la présence d’un plénipotentiaire anglais pour rendre la France moins exigeante et l’amener à élargir le monopole commercial, presque prohibitif, jusqu’alors maintenu dans ses colonies du Nouveau-Monde.

Très complexe, très délicate, cette question coloniale n’avait jamais, d’ailleurs, cessé d’être un point noir dans les relations de la France avec les États-Unis, dès ce moment très enclins à poser, comme l’une des futures et immuables bases de leur politique extérieure, ce principe auquel Monroe devait, un peu plus tard, attacher son nom : « l’Amérique aux Américains. »

A cet égard, Ternant, dès son arrivée, avait eu à se préoccuper d’un incident, avant-coureur des catastrophes qui, à Saint-Domingue, allaient marquer la fin du XVIIIe siècle. Des délégués de cette île étaient venus à Philadelphie solliciter du Congrès des secours destinés à réprimer un soulèvement des noirs, chaque jour plus menaçans contre les propriétés et la vie des blancs. Tout en se déclarant prêt à appuyer les efforts de ces délégués, Ternant dut leur faire remarquer l’irrégularité de leur mission dans un pays où un ministre de France était accrédité ; lui seul avait qualité pour défendre les intérêts d’une colonie française, et il ne leur appartenait pas de prendre, comme s’ils prétendaient traiter de souverain à souverain, le titre de « députés de Saint-Domingue près les États-Unis. » Quoique le droit international interdît d’admettre cette prétention, les représentans de l’Union n’en témoignaient guère de déplaisir, laissant comprendre que, pour l’accueillir ou la repousser, ils ne seraient pas sans tenir compte du plus ou moins de facilités que la France accorderait à leur commerce. Dans ses