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Dans cette vraisemblable éventualité, Genet était invité « à se pénétrer profondément » du sens des deux traités conclus en 1778 et à veiller de très près à l’exécution des articles favorables à la navigation et au commerce français. » Il devait surtout, et c’était là le point le plus délicat de sa mission, « faire considérer aux Américains les engagemens qui pourraient leur paraître onéreux comme le prix de l’indépendance que la nation française leur avait acquise. » On tenait pour certain que l’insistance que mettrait notre envoyé à rappeler cet immense service ne pouvait manquer d’amener les États-Unis à sortir de leur neutralité et à les décider contre l’Angleterre et l’Espagne à une action vigoureuse.

Croire à la toute-puissance d’un semblable argument, c’était mal connaître les Américains en général et Washington en particulier ; c’était aussi exposer le ministre français à un échec assuré. Le Conseil exécutif s’en fût aisément rendu compte en relisant les dépêches échangées entre le département des Affaires étrangères et les prédécesseurs de Genet à Philadelphie. Il lui eût été facile d’y constater la susceptibilité, souvent ombrageuse, manifestée par le gouvernement des États-Unis, toutes les fois qu’il avait pu soupçonner, à tort ou à raison, qu’une atteinte quelconque menaçât une liberté d’action qu’il entendait conserver absolue.

Dans cette correspondance on eût vu, par exemple, que, dès le début de la guerre de l’Indépendance, avant même que l’existence officielle des États-Unis eût été reconnue, un groupe d’hommes considérables n’avaient cessé de s’y opposer à l’influence française et de la combattre par tous les moyens. En 1779, Gérard de Rayneval signalait « les menées de la faction anglaise et l’accusation qu’elle propageait contre la France de n’avoir en vue que son profit dans l’aide accordée par elle aux États-Unis. » En réponse à un bruit répandu dans toute l’Union et qui prêtait aux Français le projet d’établir un poste permanent à Rhode Island « afin de se trouver par là en mesure de dominer sur les Américains, » Vergennes avait jugé utile « de faire déclarer à tous les membres du Congrès et au Congrès en corps, si cela était nécessaire, que le roi n’avait envoyé des troupes en Amérique que pour l’assistance des États-Unis ; que S. M. n’avait eu et n’aurait jamais l’intention de les y laisser contre le gré des mêmes États ; qu’il n’avait jamais eu la pensée de vouloir, sous aucun titre, posséder la moindre portion de leurs domaines. »

Un peu plus tard, quand Lafayette avait conçu le projet de